Accoucher en position du missionnaire

Traditionnellement, les femmes sont passives. Les relations entre les hommes et les femmes sont marquées par la dichotomie activité / passivité. L’homme explore le monde, la femme l’attend au foyer. Dans les rituels occidentaux de séduction, l’homme conquiert, séduit, propose ; la femme pause, minaude, dispose. La relation sexuelle elle-même est inféodée à cette norme où, classiquement, l’homme est actif, besogneux, sur une femme passive, allongée en étoile de mer. Si aujourd’hui la révolution sexuelle et l’accès à la contraception et à l’avortement ont quelque peu atténué cette image, cette opposition homme actif / femme passive reste encore la référence pour le grand public. Elle se traduit d’ailleurs dans le langage : « un homme pénètre, une femme est pénétrée », « un homme baise, une femme est baisée ». Une connotation négative et de soumission s’ajoute à la forme passive, clairement perçue dans l’expression « je me suis fait-e baiser ».

Cette opposition homme active versus femme passive n’est pourtant qu’une vue de l’esprit et ne repose sur aucun fondement biologique. Rien n’empêche, en effet, une femme de chercher activement un partenaire sexuel, prendre l’initiative de la séduction et de la relation sexuelle, et être au moins aussi active que l’homme au lit. La passivité imposée aux femmes est en réalité une injonction culturelle dans la société patriarcale. Une femme active et entreprenante en matière sexuelle est assimilée à une prostituée, une « Marie-couche-toi-là », une femme de mauvaise vie. Tout le contraire d’une femme honnête et d’une mère.

La passivité des femmes se poursuit dans la procréation. Le langage familier l’illustre également : la femme « tombe enceinte », « se retrouve enceinte », là où l’homme « met enceinte ». La femme se retrouve passivement enceinte, comme simple suite de sa passivité pendant l’acte sexuel.

L’exigence de passivité continue durant la grossesse. Aux États-Unis, près des 20 % des femmes enceintes se voient prescrire un repos alité alors qu’aucune étude n’a non seulement démontrer l’efficacité de cette injonction sur le bon déroulement de la grossesse, mais en plus présente des risques notamment liés à l’immobilité. Mais la position couchée semble tellement associées aux femmes (et à la belle au bois dormant) qu’elle arrive en premier chef dans l’arsenal de l’obstétricien.

Cette position couchée sur le dos, en étoile de mer, poursuit les femmes jusque dans leur accouchement. Elle est aberrante au niveau physiologique puisqu’elle ne fait pas profiter au fœtus des effets de la gravité. Elle ralentit l’accouchement et augmente le risque de complications. Elle est surtout très douloureuse et inconfortable pour la femme qui accouche. Pourtant, cette position est devenue la norme en Occident. Elle a été imposée aux femmes par et pour des hommes. En 1663, Louis XIV a convaincu son médecin Mauriceau d’imposer cette position à sa maîtresse Louise de la Vallière pour qu’il puisse observer la naissance de son enfant en se tenant caché derrière un rideau. L’œuvre de Mauriceau a par la suite été traduite en anglais par Chamberlen qui répandit cette position dans le monde anglo-saxon. Avec la généralisation des accouchements à l’hôpital, cette position à plat dos a continué de présenter un avantage indéniable en terme de confort… pour l’obstétricien. Aujourd’hui, les femmes continuent d’être maintenues couchées sur le dos sous l’effet de la péridurale.

Lors de l’accouchement, la passivité de la femme est totale. Elle est immobilisée par l’analgésie et se voit intimer l’ordre de suivre les injonctions de la sage-femme ou de l’obstétricien qui vont jusqu’à lui dicter la manière de respirer. Pendant cette immobilisation les jambes écartées et la vulve à la vue de tous, elle est sommée de subir sans broncher les multiples touchers vaginaux, palpations, injections, et dans de nombreux cas, l’action de ciseaux, scalpel, forceps, ventouses, qui peuvent dégénérer en césarienne.

Les femmes elles-mêmes entretiennent cette envie de passivité. De nombreuses femmes abordent leur accouchement avec l’idéal du « enlevez-moi le bébé de mon ventre, et surtout que je ne souffre pas ». De la même façon que des femmes abordent la relation sexuelle en comptant les mouches au plafond et en pensant « pourvu que ça se passe le plus vite possible ». Certes, chaque femme est libre de choisir la passivité et d’y trouver son compte. Mais pour qu’il s’agisse d’un choix réel, d’autres modèles doivent être proposés.

Il est aujourd’hui admis qu’une femme puisse prendre une part active dans la sexualité, y trouver du plaisir, et éprouver une satisfaction personnelle dans des pratiques épanouissantes qui sortent du carcan traditionnel. Cette libération des femmes doit maintenant se poursuivre par rapport à l’accouchement. Les femmes doivent pouvoir se réapproprier leur corps, utiliser leur capacité inhérente d’accoucher, et y trouver une plus grande satisfaction personnelle. La position du missionnaire ne doit plus être l’alpha et l’oméga de la reproduction humaine.

***

Pour accéder à la page principale et lire mes autres billets: Marie accouche là

This entry was posted in Mon corps m'appartient and tagged , , , , , , , . Bookmark the permalink.

9 Responses to Accoucher en position du missionnaire

  1. Géraldine says:

    S’agissant de soumission ma mère m’a raconté que lorsqu’elle a accouché de moi (à la fin des années 70) elle était attachée à la table d’accouchement pendant tout le travail et n’a donc pas pu bouger alors qu’elle avait des contractions dans le dos et pas de péridurale!

  2. Marie-Hélène Lahaye says:

    J’ai déjà entendu ça, en effet, qu’à certaines endroits les femmes étaient attachées pendant leur accouchement. C’était où ? En Europe ou en Amérique ?
    Pour moi, ça relève clairement de la torture.

    • Géraldine says:

      En France. Et elle ne trouvait même pas ça étonnant! Elle m’a également racconté que la première fois qu’elle avait pu me toucher j’avais plus d’un mois car avant j’étais en neo-nat et les parents n’avaient pas le droit d’entrer! Nous en avons discuté quand j’ai eu ma fille car elle s’étonnait que je puisse allez la voir en neo-nat à toute heure du jour et de la nuit! Je n’aurai jamaids toléré qu’il en soit autrement. J’ai du mal à comprendre comment les femmes on pu subir tant de maltraitance sans y trouver quoique ce soit à redire!

  3. lou says:

    Quelle est la position idéale pour accoucher, alors ?

    • La sorcière says:

      La position idéale pour accoucher ? Il y a eu des études (désolée si je me souviens plus le lien) dont la conclusion était : Il n’y a pas de position que l’on pourrait généraliser à tous les accouchements. En revanche, la position en décubitus (sur le dos) est la pire dans toute les configurations (en terme de déchirure grave, de risque de césarienne, d’extraction instrumentale et de douleur).

      Applaudissez 🙂

  4. Marie-Hélène Lahaye says:

    En effet, il n’y a pas de position idéale pour accoucher. L’essentiel est de permettre à chaque femme de bouger comme elle veut, d’adopter la position qui lui semble la plus confortable en écoutant une forme d’instinct ou d’intuition, puis changer quand elle le veut. Elle peut donc être à quatre pattes, accroupie, couchée sur le coté, debout, suspendue à quelque chose pour s’étirer, que dure le travail, s’appuyer sur tout ce qu’elle trouve à sa portée, s’asseoir sur un gros ballon et faire des mouvements de bassin, etc etc. La mobilité est essentielle, à la fois pour réduire voire supprimer la douleur et pour permettre le meilleur passage du fœtus.
    Si la femme a du mal à se connecter à cette forme d’instinct ou d’intuition, la sage-femme peut lui suggérer différentes positions jusqu’à ce qu’elle trouve ce qui lui convient, puis l’inciter à changer dès qu’elle la trouve moins confortable.

  5. Gomel says:

    (Je remets mon commentaire, je crois qu’il y a eu un bug et qu’il n’a pas été publié)

    « Dans les rituels occidentaux de séduction, l’homme conquiert, séduit, propose ; la femme pause, minaude, dispose. »
    En même temps vaut mieux que l’homme séduise. Je préfère me faire draguer plutôt que de me faire sauter dessus. De plus la femme est libre de dire non (attention je ne parle pas de viol là, uniquement de la drague). De plus la femme peut tout aussi bien draguer l’homme, si elle ne le fait pas c’est uniquement parce que ça lui plaît de se faire draguer, mais c’est pas grave, perso moi aussi j’adore ça.

    « Elle se traduit d’ailleurs dans le langage : « un homme pénètre, une femme est pénétrée » »
    En même temps c’est la réalité. Je sais pas toi mais moi je suis incapable de pénétrer un homme avec mon vagin…

    « un homme baise, une femme est baisée »
    Non non les hommes aussi peuvent se faire baiser.

    « Une femme active et entreprenante en matière sexuelle est assimilée à une prostituée, une « Marie-couche-toi-là », une femme de mauvaise vie. »
    Un homme qui baise à droite à gauche on appelle ça un coureur. Et les coureurs n’ont pas bonne réputation…

    « Le langage familier l’illustre également : la femme « tombe enceinte » »
    Ok. Maintenant on va faire un peu de français… Lorsque le verbe « tomber » est suivi d’un attribut, il prend le sens de devenir. Tout comme on l’utilise pour dire « tomber amoureux » qui signifie alors « devenir amoureux ». On ne dit pas « tomber » juste pour le plaisir de donner une connotation « passive » au fait. Quand tu tombes sur une expression aussi étrange pense à te renseigner. D’ailleurs petit clin d’œil qui rappelle que non, tout le monde n’est pas aussi mauvais envers les femmes que tu sembles le dire : en allemand « être enceinte » se dit « Guter Hoffnung sein », ce qui signifie littéralement « Être de bonne espérance ». Perso je trouve ça mignon. Mais bon, je suis sûre que tu es capable de voir le mal même là-dedans…

    « Aux États-Unis, près des 20 % des femmes enceintes se voient prescrire un repos alité »
    Bon ok j’avoue je sais pas comment ça marche aux États-Unis. Cependant en France t’es pas obligée de te mettre en congés. Je connais des femmes qui n’ont pas pris un seul congé pendant leur grossesse et ce jusqu’à l’accouchement. Les médecins préfèrent proscrire du repos parce qu’une femme enceinte n’est pas toujours très bien traitée à son boulot. Ou parce que souvent le stress engendré et les efforts physiques peuvent être mauvais pour une femme enceinte (ben oui toutes les femmes bossent pas derrière un bureau dans un environnement agréable). Et je suis pas étonnée de ce que tu dis sur les U.S. vu que souvent les gens là-bas cumulent plusieurs emplois et que donc c’est fatiguant… Ben oui on donne pas des chiffres comme ça sans essayer de les expliquer…

    « Mais la position couchée semble tellement associées aux femmes »
    En même temps un repos alité sans s’allonger c’est pas simple à faire… Ça n’a rien à voir avec le fait que soit-disant « la position couchée semble tellement associées aux femmes ». C’est juste que si on te conseille de te reposer dans ton lit on va pas te conseiller de le faire en position poirier. On te propose (oui encore une fois ce n’est pas une obligation, ben oui si vous êtes contre ce qu’on vous dit il suffit simplement de le dire gentiment au lieu de se plaindre) du repos non pas parce que les femmes sont faibles et mieux allongées mais parce qu’être enceinte c’est fatiguant et ça peut se révéler dangereux pour la femme/le bébé si on ne fait pas attention. Si si je vous jure qu’il y a des gens qui pensent à bien quand ils parlent aux femmes.

    « Elle [la position couchée sur le dos] ralentit l’accouchement et augmente le risque de complications »
    Honnêtement, la façon dont on faisait avant n’était pas mieux puisque ce sont 10% des femmes en âge de procréer qui mouraient à la suite d’un accouchement. Aujourd’hui c’est plus trop le cas.

    « Elle est surtout très douloureuse et inconfortable pour la femme qui accouche »
    De toute façon un accouchement est très douloureux et inconfortable, quelle que soit la position que tu prends pour accoucher. Les textes médicaux des XVIIe et XVIIIe siècles (où la femme accouchait dans la position qu’elle voulait) mentionnent couramment des femmes restant en travail plusieurs jours avec les « chairs horriblement meurtries », souffrant d’ »ulcération affreuse » ou de « suffocation hystérique », tombant dans de « grandes faiblesses » ou de « cruelles convulsions ». Personnellement c’est là que je me dis que franchement, le toucher vaginal, les gens qui te matent le vagin, la péridurale, etc. ben ça vaut le coup… Oui, j’ai peut-être oublié de préciser que j’étais pas maso.

    « Aujourd’hui, les femmes continuent d’être maintenues couchées sur le dos sous l’effet de la péridurale »
    J’ai essayé de me relever lors de ma césarienne (ben oui j’allais quand même pas accepter d’être couchée sur le dos comme une vulgaire prostituée !), mais je dois avouer qu’avec l’effet de la péridurale je n’ai même pas pu soulever une jambe.

    « Elle est immobilisée par l’analgésie et se voit intimer l’ordre de suivre les injonctions de la sage-femme ou de l’obstétricien qui vont jusqu’à lui dicter la manière de respirer. »
    En même temps si on veut pas être immobilisée par l’analgésie il suffit de dire qu’on n’en veut pas. Après je suis d’accord, de quel droit les sages-femmes ou les obstétriciens osent-ils nous dire comment faire pour accoucher ? C’est pas comme si c’était leur travail ! Où ils ont appris qu’il fallait respirer comme ça et pas comme ci pour accoucher ? Dans un kinder surprise ? C’est vrai quoi, moi jeune fille dans la vingtaine, j’ai fait des études de lettres ! Je sais parfaitement comment je dois procéder pour que tout se passe bien ! Pas besoin de faire médecine pour ça !

    « La vulve à la vue de tous »
    Et en plus je suis sûre qu’ils y prennent un malin plaisir les fourbes !

    « L’action de ciseaux, scalpel, forceps, ventouses, qui peuvent dégénérer en césarienne »
    C’est vrai, alors qu’en faisant ça à l’ancienne ce serait tellement plus simple. Ou mieux, comme les chats ! On coupe le cordon ombilical avec les dents et on lèche notre petit pour le laver ! Comme les vrais !

    « De nombreuses femmes abordent leur accouchement avec l’idéal du « enlevez-moi le bébé de mon ventre, et surtout que je ne souffre pas » »
    Je ne connais pas le pourcentage mais je crois qu’il y a moins de femmes masochistes que de femmes non masochistes…

    « Mais pour qu’il s’agisse d’un choix réel, d’autres modèles doivent être proposés »
    Ah mais d’autres modèles que la femme passive existent ! La femme dominatrice en est un ! Jette un œil aux sex-shop, ils en parlent mieux que moi.

    « Cette libération des femmes doit maintenant se poursuivre par rapport à l’accouchement »
    Après on a le choix, on peut accoucher chez soi par exemple…

  6. Jessica says:

    Ah mes deux enfants on m’a refuser une autre position et pire encore à ma fille née en octobre 2015 j’ai été attachée pour avoir refuser catégoriquement cette position

Leave a Reply to Géraldine Cancel reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *