L’obstétricien, son angoisse et son tricot

Accoucher fait peur. Bon nombre de femmes, héritières de siècles de récits d’accouchements atroces, abordent l’idée de l’accouchement avec une certaine crainte. Ces craintes sont légitimes et font l’objet de beaucoup d’attention. Je voudrais néanmoins aborder la peur d’une autre personne impliquée dans l’accouchement : celle que ressent l’obstétricien.

Les obstétriciens sont des chirurgiens spécialisés dans les risques de la grossesse et de l’accouchement. Ils pratiquent le dépistage des problèmes éventuels, posent des diagnostics, proposent des traitements. En cas de complications, ce sont eux qui, entre autres, accélèrent l’accouchement, extraient le fœtus à l’aide de forceps ou de ventouses, ou pratiquent une césarienne en cas de danger pour la mère et l’enfant. Ce sont eux qui, enfin, analysent le bon déroulement de l’éjection du placenta et pallient aux risques d’hémorragie de la délivrance et d’autres complications post-partum. Les obstétriciens ont sauvé de nombreuses vies et continuent à en sauver tous les jours. Loin de moi l’idée de remettre en question l’utilité de l’obstétricien et de son expertise dans le domaine de la naissance. Je voudrais plutôt interroger le rôle de l’obstétricien par rapport aux grossesses et accouchements normaux.

Durant sa formation universitaire, le futur obstétricien étudie l’ensemble des complications et pathologies pouvant survenir durant la grossesse et l’accouchement. Il apprend à reconnaître et à réagir à une liste impressionnante de situations allant de la souffrance fœtale et des dystocies, en passant par accidents de siège, jusqu’à la rupture utérine. Il devient familier des moindres recoins de l’appareil reproducteur féminin et de toutes les interactions, bonnes mais surtout mauvaises, entre les nombreux fluides et échanges microscopiques. Il acquiert enfin la maîtrise de toute l’ingénierie médicale et devient expert dans la précision du geste lorsqu’il est armé d’un bistouri. Une discipline manque pourtant dans le cursus universitaire de certains obstétriciens : l’étude du déroulement naturel d’un accouchement normal. En d’autres termes, que doit faire l’obstétricien quand tout se passe bien ?

Dans leur pratique hospitalière, bon nombre d’obstétriciens vivent l’ivresse des grands décideurs. Dans le stress et l’urgence, ils passent d’une salle à l’autre, repèrent les situations à risques, anticipent une défaillance chez une femme, réagissent à une complication chez une autre, donnent des ordres aux sages-femmes et infirmières. Gonflés d’adrénaline, ils analysent au plus vite un état particulier, décident immédiatement d’une option précise, et ressentent souvent une pointe d’excitation à l’idée de pratiquer une césarienne impromptue. Cette attitude de rapidité, de stress et performance, certes utile dans beaucoup de professions, est pourtant contraire à la nécessaire sérénité propice à l’accouchement. Elle génère un climat anxiogène perturbant la production d’ocytocine chez la femme. Elle entraîne de la précipitation dans les gestes et déplacement du personnel médical peu respectueuse de la lenteur nécessaire à la descente du fœtus. Elle ne laisse pas beaucoup de place à l’écoute des souhaits et interrogations de la parturiente.

De plus, l’angoisse chez les médecins se manifeste dans leur attitude générale par rapports aux accouchements. Pour eux, l’accouchement est en soi une activité à risques. Des chercheurs ont démontré qu’ils abordent chaque accouchement en envisageant le pire cas, comme si une catastrophe allait se produire à chaque instant. Ils traquent le moindre signe discordant par rapport à un idéal-type dans le but d’éviter un désastre (la France est d’ailleurs le pays encourageant le plus cette attitude puisque c’est le seul pays où l’accouchement n’est considéré comme normal qu’à posteriori). Et lorsqu’ils décèlent un indice pouvant augurer une trajectoire différente, les obstétriciens apaisent leur inquiétude en posant un acte généralement relevant d’une routine protocolaire. Des études ont démontré que l’angoisse des obstétriciens peut conduire à une cascade d’interventions, à une suite inévitables de gestes médicaux entraînés les uns par les autres.

C’est dans cette logique que, craignant une détresse fœtale, le médecin pose un monitoring en permanence sur le ventre de la femme, dont le bruit et la sirène retentissant dans la pièce si un capteur est déplacé. Ce bruit strident provoque une hausse d’adrénaline chez la femme s’opposant à la production de l’hormone de l’accouchement, l’ocytocine. A cela, l’équipe médicale injecte une dose d’ocytocine artificielle pour ne pas ralentir le travail, ce qui produit des douleurs très importantes, par défaut de libération d’une autre hormone, l’endorphine. S’en suit la pose d’une péridurale pour lutter contre la douleur, avec pour effet une immobilisation de la parturiente et un nouveau ralentissement du travail. Ce qui provoque une difficulté de progression du fœtus dans les voies maternelles, cause de dystocie. L’obstétricien sort alors les forceps, pratique une épisiotomie et tente d’extraire le bébé. Ou alors il conclut que, vu les risques de souffrance fœtale, il est préférable de pratiquer une césarienne. Selon ces mêmes chercheurs, ce type de cascade médicale peut être déclenchée par la tentation de « faire quelque chose, n’importe quoi, de décisionnel pour diminuer l’anxiété du médecin ».

A l’opposé de ces pratiques médicales de vigueur dans nos hôpitaux, l’obstétricien Michel Odent, le célèbre inventeur de l’accouchement dans l’eau, rappelle pourtant l’importance d’un lieu intime, calme, baigné de lumière tamisée, pour permettre à la parturiente d’accoucher sereinement et sans complication. Il précise que la femme doit pouvoir librement bouger et émettre tous les sons qu’elle souhaite, sans qu’elle soit dérangée. A ce titre, il est important qu’elle ne se sente pas observée. Pour permettre à la femme d’accoucher dans ces conditions tout en garantissant la présence d’un membre du personnel médical à sa disposition pour toute demande ou aide, ou pour réagir si une complication devait survenir, il suggère que la meilleure attitude du médecin est de se mettre dans un coin de la pièce, attendre silencieusement et… tricoter. De cette façon, la femme devient pleinement maître de son accouchement. Elle peut plonger dans une décontraction profonde qui libère au mieux les deux hormones majeures que sont l’ocytocine et les endorphines, et se reconnecter à une forme d’instinct qui lui dicte la meilleure position à adopter. Son corps fonctionne alors au mieux et permet, à lui seul, d’assurer les contractions favorisant la descente du fœtus et aboutir à l’expulsion du bébé, tout en ayant auprès d’elle un professionnel lui offrant un niveau de sécurité élevé. Moins il y a d’interventions médicales superflues, moins il y a de risques de complications entraînant d’autres interventions de plus en plus invasives.

Les aiguilles à tricoter ont longtemps été un symbole d’oppression des femmes. Une oppression douce qui les reléguaient au rôle de femme au foyer dont une des tâches était de confectionner des vêtements chauds pour sa famille. Une oppression plus dramatique lorsque l’aiguille à tricoter était utilisée par des faiseuses d’anges pour pratiquer des avortements clandestins souvent meurtriers. Il est temps de contribuer à la réhabilitation du tricot qui, lorsqu’il est placé dans les mains d’un obstétricien, devienne un outil de respect et de libération des femmes.

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9 Responses to L’obstétricien, son angoisse et son tricot

  1. Origamikado says:

    Je suis pour ma part enceinte et tricoteuse, et je souscris totalement a la conclusion de cet article : le tricot est un formidable relaxant 😉

    Plus sérieusement: oui, une présence médicale est nécessaire, dès lors que l’on en ressent le besoin. La clé est bien d’écouter ce dont les femmes ont besoin, et de s’adapter, tant qu’aucun risque particulier n’est identifié.

    J’ai le souvenir de ce monitoring oppressant pour mon premier accouchement, de mon regard sans cesse tourné vers cet écran et le rythme cardiaque de mon enfant. C’est incroyablement stressant.

    Cette fois, je suis bien décidée à accoucher dans une atmosphère sereine!

  2. pétrolleuse says:

    “Que doit faire l’obstétricien quand tout se passe bien ?” Réponse: rien du tout, il n’est même pas censé être là puisque dans ce cas-là, c’est la sage-femme qui gère ;-)… Une citation que j’aime bien et qui me semble assez juste: « L’obstétrique traditionnelle consiste à surveiller un phénomène physiologique en se tenant prêt à intervenir à tous les instants. L’obstétrique moderne consiste à perturber ledit phénomène de telle sorte que l’intervention devienne indispensable à l’heure exacte où le personnel est disponible. C’est beaucoup plus difficile. »
    Professeur Malinas (gynécologue-obstétricien), Le Dauphiné Libéré, 8 mai 1994

  3. reinemère says:

    Eh oui,mon vieux prof d’obstétrique disait à ses élèves sages-femmes que la bonne place des mains pendant un accouchement,c’était la poche du tablier !!

    • anne says:

      Il manque quand même les sages-femmes dans cet article.
      Elles sont depuis toujours celles qui accompagnent les femmes sur ce chemin singulier de l’accouchement et sa physiologie.
      Elles en sont les garantes. Elles sont auprès des femmes de qui elles apprennent sans cesse. Les sages-femmes sont des obstétriciennes, celles de la physiologie! Non elles ne sont pas comme les infirmières soumises aux ordres de l’obstétricien mais une profession médicale à part entière ce qui leur donne l’autonomie d’accompagner seules le travail et l’accouchement physiologiques et de reconnaitre la pathologie et de faire appel à l’obstétricien. C’est avec elles que les obstétriciens apprennent l’accouchement physiologique au cours de leurs études. Elles savent se mettre en retrait et “tricoter” s’il le faut pour peu qu’elles travaillent dans un endroit qui respecte cela. Il en reste encore en France(la maternité des Lilas, celle de Chinon où je travaille et bien d’autres encore) et il faut les défendre.

  4. Lisa Veroni-Paccher says:

    Bonjour
    Merci pour ce très bel article. Une erreur il me semble, dans l’interprétation du propos de Michel Odent, il parle des sages-femmes qui tricotent, pas des médecins. D’ailleurs, comme il a été indiqué précédemment dans un autre commentaire, j’ai ressenti un grand vide : les sages-femmes ne sont pas présentes dans cet article, et pourtant avec les femmes, elles sont au centre de la grossesse et l’accouchement dits normaux.

  5. Marie-Hélène Lahaye says:

    En effet, je n’ai visé spécifiquement que l’obstétricien qui est, dans beaucoup de pays, considéré comme le seul apte à accompagner (réaliser ?) l’accouchement. Les sages-femmes sont encore dévalorisées et doivent lutter pour prendre leur place. J’en parlerai dans d’autres billets. Quant à Michel Odent, peu importe qui tricote pourvu qu’on laisse les femmes accoucher sans entrave.

  6. Sophie says:

    Merci, merci, merci !
    C’est exactement ce que j’essayais d’expliquer à ma belle-famille et mon mari la semaine dernière. Mon premier accouchement (surmédicalisé) s’est fini en césarienne, je rêve de physiologie et d’une sage-femme qui tricote pour mon deuxième (pas encore en route mais j’y pense déjà). La prochaine fois qu’on parle choix de maternité et accouchement, je fais lire votre blog, promis.

  7. Géraldine says:

    La sage femme qui tricote est une image qui me parle beaucoup puisque ma sage femme a tricoté pendant la majeure partie de mon accouchement. Elle tricotait un pull pour sa petite fille adolescente!

  8. Lorelyn says:

    Moi, j’ai tricoté pendant au moins la moitié de mon deuxième accouchement (sans péridurale, du coup sur la fin, j’ai quand même lâché les aiguilles). Mais je ne suis pas sûre que ça ait beaucoup déstressé mon obstétricien qui était très inquiet que j’accouche avant la fin de sa garde.

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