En cette période où l’actualité est celle des réfugiés, et face aux manipulations tentant de faire croire à l’opinion public que seuls des hommes fuient la guerre et les exactions, je voudrais évoquer la situation de personnes encore plus fragilisées qui se heurtent dramatiquement aux frontières de l’Europe, à savoir les femmes qui accouchent sur les routes de l’exil.
La situation de ces mères étant très peu documentée, j’ai choisi de vous traduire un des rares articles consacrés à ce sujet, celui d’Associated Press « Refugee women give birth on way to Europe, even on boats ».
VARSOVIE ( AP ) – Les prénoms de bébé qui portent la marque de la lutte et de la gratitude
Une mère migrante nigériane a appelé sa petite fille Gift (Cadeau) après un accouchement difficile sur un navire de la marine italienne qui l’a sauvée en Méditerranée. Une Ghanéenne a prénommé son bébé Angela Merkel, par admiration pour la chancelière allemande. Ces derniers temps, d’autres femmes migrantes qui ont accouché au cours des voyages risqués vers l’Europe ont donné à leur bébé des prénoms comme Lucky (Chanceux) et Hope (Espoir).
Parmi le nombre croissant de migrants sur les routes vers l’Europe, des femmes enceintes accouchent, que ce soit en Libye durant leur attente avant de traverser la mer, sur les navires de sauvetage en Méditerranée ou encore à la gare de Budapest-Keleti en Hongrie. Ce weekend, un bébé de 5 jours et deux femmes enceintes de neuf mois figuraient parmi les 284 réfugiés entassées sur un bateau de pêche en détresse dans le détroit de Sicile, a déclaré lundi dernier la marine italienne.
« C’est dangereux, mais ces personnes sont désespérées », explique Meron Estefanos, le directeur de l’Initiative érythréen sur les droits des réfugiés. « Elles pensent ‘soit je meure avec mon enfant à naître, soit j’ai de la chance et j’y arriverai’ »
Un certain nombre des nouveau-nés survivants semblent voués à un avenir plein de promesses, ce que leurs prénoms suggèrent, surtout depuis que l’Allemagne a accepté d’accueillir des centaines de milliers de demandeurs d’asile en provenance de Syrie et d’autres pays en proie aux conflits.
Mais il existe aussi de nombreuses issues dramatiques. Des nouveau-nés sont morts dans des naufrages ou en raison d’un manque d’aide médicale. Ceux qui survivent doivent faire face à des problèmes de santé étant donné le stress et les blessures subies par leurs mères qui ont parfois été sous-alimentées et maltraitées par leurs passeurs.
Quand un bateau transportant plus de 500 réfugiés a chaviré près de l’île italienne de Lampedusa en octobre 2013, l’une des victimes était une femme érythréenne qui s’est noyée alors qu’elle donnait naissance à un petit garçon. Quelques jours plus tard, lorsque les plongeurs italiens de la Garde côtière ont retiré leurs cadavres de l’eau, ils étaient toujours reliés par le cordon ombilical.
Plus récemment, le 5 septembre, un nouveau-né est décédé, lorsqu’un un bateau avec des Syriens a chaviré en navigant de la Turquie vers Agathonissi, une petite île grecque de 152 habitants dépourvue d’hôpital et même de médecin permanent. « L’enfant était tombé dans la mer et a avalé beaucoup d’eau », a déclaré le maire Vangelis Kottoros . « Il était à moitié mort quand il a été ramené à terre ». Le navire de patrouille de la Garde côtière était à la recherche d’autres survivants du bateau, et il a fallu deux ou trois heures avant que l’enfant soit transporté à Samos, l’île la plus proche comportant un hôpital. « Je ne peux pas assurer que l’enfant aurait survécu s’il y avait eu un médecin ici », a ajouté le maire, « mais nous n’en avons pas eu un seul durant ces deux derniers mois ».
L’ONU et l’Organisation internationale pour les migrations ne disposent pas de chiffres sur le nombre de femmes enceintes qui font le voyage. Mais il est clair que les gens qui fuient la Syrie et d’autres pays ravagés par les conflits sont tellement désespérés que la grossesse, même à un stade très avancé, ne retient pas les femmes. Elles ressentent parfois même une urgence encore plus grande de fuir les conditions de vie horribles de pays comme la Libye, où les passeurs leur refusent souvent les soins médicaux, affirment certains travailleurs humanitaires.
En août, la Syrienne Amina Asmani a dû se battre contre des policiers anti-émeute macédoniens armés de matraques, afin d’accéder à un train avec son mari et son fils 10 jours, né sur une île grecque au cours de son voyage. « Les policiers nous ont finalement permis de monter seulement parce qu’ils étaient désolés pour le bébé », a-t-elle dit à l’AP.
Barbora Sollerova, une sage-femme qui travaille sur le Dignity I, le navire de Médecins Sans Frontières qui mène des opérations de sauvetage au large de Malte depuis la mi-juin, affirme qu’environ 10 % des femmes qui montent à bord sont enceintes. Récemment, son navire a secouru une Nigériane en plein accouchement qui a promis de prénommer sa fille Dignity, en hommage au bateau. L’équipe a également pris à bord un bébé âgé de 5 jours, né dans un centre de détention en Libye. Sa mère n’a pas été autorisée à se rendre dans un hôpital pour accoucher et a juste été aidée par sa belle-mère.
Certaines femmes mettent aussi au monde des enfants prématurés en raison du stress du voyage ou de la violence qu’elles endurent de la part des passeurs.
« Les femmes expérimentent de façon répétée des violences sexuelles, physiques et psychologiques. Elles sont utilisées comme travailleuses forcées. Elles sont privées de nourriture et n’ont souvent pas accès aux soins prénataux ou postnataux », a déclaré Sollerova. « Elles sont même souvent forcées à avoir des relations sexuelles non protégées, les exposant au risque de la syphilis ou du sida. »
Sollerova est convaincue que ces abus et un tel stress pourraient avoir un impact à long terme sur santé mentale de ces femmes et leur capacité à tisser les liens avec leurs enfants.
De futurs apatrides
Pour les bébés en bonne santé, il y existe également des risques juridiques potentiels pour ceux qui sont nés sur les routes en dehors de leurs pays d’origine. Certains parents fuient sans carte d’identité, si bien que les bébés ne se voient parfois pas délivrer de certificats de naissance. De plus, les femmes de certains pays, y compris de la Syrie, n’ont même pas le droit de transmettre leur nationalité à leurs enfants, ce qui pose un énorme problème potentiel dans les cas où aucun père n’est présent. Les bébés ne peuvent pas compter sur l’obtention de la citoyenneté européenne, même si ils sont nés sur le sol européen, parce que les États européens accordent la citoyenneté fondée sur le droit du sang, à savoir la nationalité des parents. Il y a cependant quelques exceptions, comme la France qui donne souvent plus facilement la citoyenneté aux enfants apatrides que d’autres pays.
Certains enfants risquent donc d’être apatrides, une condition juridique qui affecte quelque 10 millions de personnes dans le monde, dont 600.000 en Europe. Les gens qui sont apatrides sont souvent incapables d’obtenir des documents d’identité et souffrent de graves limitations à leurs droits et à la liberté de circulation. Les travailleurs humanitaires invoquent parmi ceux-ci le droit d’aller à l’école, bien que cela ne doive pas être un problème en Allemagne.
L’ampleur de la situation n’est pas encore claire mais le HCR, l’agence onusienne pour les réfugiés, estime que le problème pourrait se développer au milieu de la plus grande crise de réfugiés que connaît l’Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.
« Une naissance durant un voyage de migrant est non seulement extrêmement dangereux pour la santé, mais elle rend les enfants très vulnérables», a déclaré Fanny Dufvenmark, une experte en droit de la migration auprès de l’Organisation internationale pour les migrations.
Les personnes les plus à risque de devenir apatrides sont des enfants nés de mères syriennes dont les pères sont morts ou absents. En effet, la Syrie – dont beaucoup fuient désormais la guerre – n’octroie pas aux femmes le droit de transmettre leur nationalité à leurs enfants, une forme de discrimination de genre encore pratiquée dans 27 pays. Ainsi, par exemple, une femme qui donne naissance en dehors de la Syrie alors que son mari est décédé ou a disparu dans le conflit, ne serait pas en mesure de transmettre sa nationalité à son enfant.
Le HCR indique que près de 70 % des enfants syriens nés au Liban, où de nombreux Syriens se sont réfugiés pendant la guerre civile, n’ont pas de certificat de naissance officiel, et que la situation est probablement aussi élevée dans les pays avoisinants.
Selon le HCR, certains réfugiés, qui sont incapables d’obtenir des certificats de naissance dans les pays d’accueil au Moyen-Orient, prennent des risques énormes pour résoudre ce problème, en organisant le passage clandestin de nouveau-nés vers la Syrie afin de les enregistrer comme si ils y étaient nés ou en y renvoyant des membres de leur famille pour obtenir ces documents critiques. De gens ont trouvé la mort dans ces tentatives.
« Le nombre d’enfants apatrides devrait croître compte tenu du nombre de Syriens fuyant à l’étranger », a déclaré Inge Sturkenboom, une experte de l’apatridie auprès de l’agence pour les réfugiés des Nations Unies. Elle-même et d’autres experts soulignent qu’il s’agit d’un problème dont les dimensions complètes n’apparaîtront que plus tard.
William Spindler, porte-parole de l’agence onusienne, affirme que le bon enregistrement des demandeurs d’asile une fois qu’ils sont en Europe est d’une importance vitale dans la situation actuelle « car au moins il y aura la preuve que quelqu’un est arrivé. »
Vanessa Gera, Associated Press (Nicholas Paphitis à Athènes contribué à cet article)
Malheureusement, face à ces drames, nos responsables politiques brillent par leur incapacité à apporter une réponse à la hauteur des enjeux et des valeurs européennes, tant ils sont paralysés par les discours de haine proférés par les extrémistes de tous bords et par l’illusion d’une Europe forteresse s’arc-boutant face au reste du monde.
Pour celles et ceux qui ont des doutes sur la capacité de l’Union européenne à prendre en charge dignement ces personnes qui fuient la guerre, et craignent une invasion incontrôlée de musulmans dans nos pays, je rappelle quelques chiffres.
L’Union européenne compte 500 millions d’habitants. Jean-Claude Juncker, le Président de la Commission européenne, a proposé de répartir 160.000 réfugiés entre les différents États membres.
La France accueillerait 24.000 réfugiés. Sur 66 millions d’habitants en France, cela représente un réfugié pour 2750 habitants. Cela représente une famille de Syriens avec deux enfants pour une ville de 11.000 habitants. Oui, juste une seule famille pour une petite ville française ! Malgré ces chiffres dérisoires, un certain nombre d’États européens s’obstinent à refuser ces quotas, en agitant des peurs irrationnelles auprès de leur population.
Quand bien même le nombre de réfugiés exploserait de façon incontrôlée, quand bien même il serait multiplié par dix en atteignant un chiffre démesuré d’un million et demi de réfugiés déferlant vers l’Europe, cela ne représente pas plus de dix familles pour cette ville française de 11.000 habitants. Plutôt que céder à l’effroi face à un spectre d’invasions barbares et de hordes de migrants, il suffit de raison garder. Seules un peu de solidarité et une simple organisation sont à mettre en place pour accueillir ces personnes. A plus long terme, un accompagnement et un parcours d’intégration permettraient à ces réfugiés de se fondre dans la société française, et d’y apporter leurs compétences et leurs qualifications.
La liberté et le respect de l’être humain sont les fondements des valeurs de l’Union européenne. Elles se défendent par la main tendue aux personnes qui fuient la guerre et les exactions. Ni par la peur, ni par la haine. Ni par les barbelés.
Merci pour cet article, très intéressant et soulevant des questions et enjeux dont je n’avais encore pas entendu parler. Merci de parler des femmes et des enfants!
Merci pour cet article.
Pour illustrer l’article, voici une vidéo de MSF prenant en charge une réfugiée qui accouche en mer: https://www.youtube.com/watch?v=knFUivQ1Z8U&feature=youtu.be
Sur France Culture, le témoignage d’une sage-femme qui soigne les femmes réfugiées à Calais. Une terrible illustration de la condition des femmes migrantes. Oui, ça se passe en France en 2016…
http://www.franceculture.fr/emissions/les-pieds-sur-terre/les-femmes-sages
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