« Entre leurs mains », un documentaire exceptionnel sur l’accouchement naturel, vient de sortir en salles. Ce film n’aurait pu être qu’une belle illustration du métier de sage-femme, avec de jolis bébés et des mamans heureuses. Mais en montrant toutes les dimensions de l’accouchement à domicile, il agit comme un effet grossissant sur la déshumanisation des hôpitaux, le contrôle du corps des femmes par l’État, les entraves à la liberté par les pouvoirs publics. Ces sages-femmes passent du statut de douces professionnelles à celui de militantes pour les droits fondamentaux. L’intimité du couple se transforme en une lutte. L’accompagnement de la naissance devient un acte de résistance. Peu de documentaires auront à ce point mis en images le slogan « le privé est politique ».
Pour mieux comprendre cette démarche, la réalisatrice du film, Céline DARMAYAN, m’a fait le plaisir de répondre à quelques questions.
Qu’est-ce qui vous a personnellement motivée à réaliser un documentaire sur l’accouchement naturel ?
Je me posais beaucoup de questions au sujet de la mort. J’étais interpelée par cette façon dont notre société sort ses morts de la vie sociale et familiale, en les reléguant dans des hôpitaux ou des funérariums. Je m’interrogeais sur ce processus de dépersonnalisation de nos proches décédés lorsqu’une amie m’a raconté son accouchement à domicile. Elle m’a fait part du problème d’assurance des sages-femmes françaises et de la pression du pouvoir politique pour empêcher les gens, et les femmes en particulier, d’exercer leur libre choix en matière de naissance. J’ai alors eu envie de rencontrer des sages-femmes. Et c’était de sacrées femmes ! Très vite l’idée d’un documentaire sur cette profession s’est imposée. Je ne connaissais rien à ce sujet. Je n’ai moi-même pas d’enfant et je ne compte pas en avoir dans l’immédiat. La réalisation de ce film a été une grande découverte pour moi. Ce n’est pas un documentaire sur l’accouchement à domicile puisqu’une des sages-femmes accompagne également des accouchements en plateau technique. C’est un documentaire sur l’ « accouchement physiologique », autrement dit sur l’accouchement naturel, sans intervention médicale.
Une des règles de base pour pouvoir accoucher naturellement est d’être dans un lieu intime, ne pas être dérangée, ne pas se sentir observée. Comment avez-vous pu concilier ces principes avec la présence de la caméra et d’une équipe de tournage ?
Au départ je voulais faire un film sans accouchement, justement pour ces raisons. Je me suis cependant vite rendue compte qu’il était impossible de m’en passer étant donné le poids de l’image mentale de l’accouchement dont nous sommes tous imprégnés : celle d’une femme dans un hôpital, couchée sur le dos, sur une table d’opération, avec un spot au dessus d’elle et du personnel médical qui l’entoure. Sans montrer la réalité d’un accouchement à domicile, qui ne correspond en rien à cette image, il est impossible pour le grand public de comprendre ce dont on parle.
Pour parvenir à tourner ces séquences, j’ai d’abord dû tisser une relation de confiance avec les couples. Beaucoup ont refusé, mais certains ont finalement accepté. La grande confiance qui régnait entre ces parents et leur sage-femme a aussi beaucoup aidé à me faire accepter. L’équipe de tournage était composée de trois personnes. Pour filmer les accouchements, nous n’étions que deux, moi-même avec la caméra dans la chambre où avait lieu la naissance, et l’ingénieur du son qui gérait les enregistrements depuis une autre pièce. L’accord passé avec les parents était qu’ils pouvaient me demander de sortir à tout moment.
Une autre difficulté était aussi d’être présents au moment de l’accouchement. Nous avons tourné au Pays basque, en Isère et à Paris. Une quinzaine de couples ont accepté d’être filmés, mais plusieurs naissances ont eu lieu avant notre arrivée…
Quels ont été les principaux obstacles que vous avez dû surmonter ?
Il n’a pas été possible de trouver des financements publics, étant donné le caractère très sensible du sujet. Aucune chaîne de télévision grand public n’a accepté de s’associer au projet. Il est certain qu’un tel documentaire ne pourra pas passer en prime time sur France 2. Certaines images sont certes impressionnantes, mais surtout un tel documentaire heurte le pouvoir médical bien établi. Le contexte politique français actuel ne permet pas une telle critique. Au moment de la manif pour tous et des débats sur le genre, il est trop subversif d’évoquer la liberté des femmes de donner naissance comme elles le souhaitent. D’un autre côté, l’absence de financement public et de soutien des chaînes m’a donné une plus grande liberté. Par exemple, je n’ai pas été obligée de mettre une voix-off ou une musique de fond, qui sont les standards habituels pour la télévision.
Pour réaliser le film, j’ai donc fait appel à du crowdfunding, et j’ai été surprise de l’incroyable enthousiasme qui s’est créé autour de ce projet. Des centaines de gens nous ont soutenus financièrement. Puis une solidarité s’est mise en place autour du film, avec des personnes qui nous ont spontanément proposé de l’aide, un logement ou un véhicule lors du tournage. Aujourd’hui, ces mêmes personnes se mobilisent pour assurer sa diffusion, en contactant le cinéma de leur ville pour organiser une projection. A ce jour, quarante séances sont déjà programmées en France, en sachant que les cinémas sont souvent réticents à mettre des documentaires à l’affiche parce que le public préfère les fictions. Quand j’ai imaginé ce projet, je ne m’attendais pas à ce qu’il réponde à une telle attente de la population.
Avant de réaliser ce film, vous ne connaissiez pas le sujet. Qu’est-ce qui vous a le plus étonnée au fil du tournage ?
Les sages-femmes que je suivais donnent des formations à l’accouchement physiologique destinées aux professionnels de la naissance, et auxquelles j’ai assisté pendant deux jours. Parmi les participants, il y avait de nombreuses sages-femmes hospitalières qui avaient parfois quinze années d’expérience dernière elles. J’ai été surprise de voir que certaines choses qui me paraissaient déjà si évidentes au cours du tournage constituaient pour elles une réelle violence parce que contraires à leurs pratiques quotidiennes. Lorsque la question « pourquoi un tel acte médical précis ? » leur était posée, ces praticiennes ne savaient pas. C’était parce que le protocole l’imposait, parce qu’on leur avait dit qu’il fallait faire comme ça. Jusque là, elles n’avaient jamais questionné leurs actes. C’est très représentatif de notre médecine conventionnelle actuelle.
Une autre chose qui m’a fascinée, c’est la grande autonomie des parents. Je découvrais des personnes qui se prenaient pleinement en charge, qui faisaient preuve d’une grande responsabilité par rapport à la naissance de leur bébé. Y compris en impliquant leurs enfants plus grands. Il y avait quelque chose de magique de voir arriver les ainés dans la pièce juste après l’accouchement, de voir la famille s’agrandir sans couper le lien par un séjour à l’hôpital.
Dans votre film, vous évoquez la question des assurances pour les sages-femmes libérales qui accompagnent les accouchements à domicile et les pressions politiques pour qu’elles cessent leur activité. Vous vous focalisez sur ces quatre sages-femmes, mais avez-vous cherché à rencontrer les assureurs, d’autres professionnels médicaux, voire la ministre de la santé ?
Non. Mon but n’était pas d’illustrer la polémique entre les pros et les anti-accouchements à domicile. Mon intention était de présenter le métier de sage-femme en allant jusqu’au fond des choses. Si j’avais fait le portrait d’un médecin, il aurait été incongru que je demande l’avis d’une sage-femme sur ses pratiques. Ce sont deux métiers différents, sans lien de subordination. Je ne voulais pas faire un débat dans le film. Le débat doit avoir lieu après, sur base de l’ensemble des éléments, dont les informations que donne le documentaire.
Jusqu’à présent, quelle a été la réception du film par le public ?
Très bonne. Il y a bien sûr beaucoup de convaincus qui nous soutiennent, mais pas uniquement. Dans les salles, j’ai vu des sages-femmes hospitalières, des médecins, et tout simplement des curieux. Beaucoup de gens m’ont dit que le documentaire leur a permis de remettre en question leurs préjugés sur l’accouchement à domicile. Avant de le voir, ils avaient un a priori très négatif. Puis ils ressortaient de la séance en ayant le sentiment de voir les choses avec plus d’objectivité, avec moins de diabolisation. Le fait que le film puisse dédramatiser le sujet est une grande victoire. La difficulté reste de toucher les gens qui croient tout savoir, qui ont un avis définitif et qui refusent de voir un documentaire qui risquerait de les faire vaciller dans leurs certitudes. L’objectif du film n’est pas de pousser les gens vers les accouchements à domicile, mais simplement de leur permettre de mieux comprendre cette démarche.
Merci Marie pour ton blog.
Dans un des commentaires se pose la question “pour qui écris-tu ?”. Tu écris aussi pour celles comme moi qui ont compris éberluées pendant leur propre accouchement les réalités que tu décris, puis qui entament une réflexion plus profonde pour comprendre si elles sont folles, ou si c’est le système hospitalier qui peut l’être.
Ca fait du bien de voir ses propres conclusions aussi bien formulées, et de sentir finalement un collectif qui laisse espérer un changement.
Merci également aux sage-femmes courageuses qui pratiquent l’accouchement à la maison, et pourvu que les maisons de naissance naissent en France.
Merci Elise 🙂
Tout d’abord, un grand merci à Marie-Hélène pour son blog si intéressant, de la part d’un “mâle” qui s’intéresse aux problématiques que vous traitez depuis longtemps.
Je pense qu’un facteur qui aidera à débloquer la situation en France pour l’AAD et les maisons de naissance (les vraies, sur le modèle nord-européen, pas les ersatz présentés comme tels), ce sera le fait que de plus en plus de françaises passent les frontières du Nord et de l’Est de la France pour accoucher dans les maisons de naissances allemandes ou belges. A mon avis, ce n’est que le début d’un mouvement qui finira par bousculer le pouvoir politique et le lobby du CNGOF que nos politiciens soutiennent sans faille jusqu’à aujourd’hui…