Une nouvelle avancée majeure au niveau politique a eu lieu dans la lutte contre les violences obstétricales. Ce jeudi 3 octobre 2019, le Conseil de l’Europe vient d’adopter à une large majorité une résolution sur « Les violences obstétricales et gynécologiques ».
Pour situer les choses, le Conseil de l’Europe (à ne pas confondre avec l’Union européenne) est une institution qui regroupe quasiment tous les pays du continent européen, et qui est garante des droits fondamentaux. Vous connaissez certainement la Cour européenne des Droits de l’Homme qui en fait partie, et qui peut condamner nos Etats s’ils ne respectent pas la Convention européenne des Droits de l’Homme. Le Conseil de l’Europe dispose également d’une Assemblée parlementaire où siègent des députés et sénateurs des 47 Etats qui en sont membres. C’est précisément cette assemblée qui vient d’adopter la résolution sur les violences obstétricales.
Congratulations to our rapporteur @m_blondin for the adoption of the resolution by @PACE_News on obstetrical and gynaecological violence! Here is the adopted text: https://t.co/iykgWNvgth pic.twitter.com/AQDtAii4Dz
— PACE_Equality (@PACE_Equality) October 3, 2019
Portée par la Sénatrice socialiste française Maryvonne Blondin, cette résolution appelle notamment les Etats membres du Conseil de l’Europe à :
- assurer une prise en charge respectueuse des droits humains et de la dignité humaine, lors de consultations médicales, de soins et de l’accouchement ;
- diffuser les bonnes pratiques promues par l’OMS ;
- mener des campagnes d’information sur les droits des patient·e·s et de sensibilisation sur la prévention et la lutte contre les violences gynécologiques et obstétricales ;
- garantir un financement adéquat aux établissements de santé afin d’assurer des conditions de travail dignes au personnel soignant, un accueil respectueux et bienveillant des patient·e·s et parturientes et un accès aux traitements anti-douleurs ;
- assurer une formation spécifique des gynécologues obstétriciens et mener des actions de sensibilisation sur les violences gynécologiques et obstétricales dans le cadre de cette formation ;
- s’assurer que la formation des médecins, des sages-femmes et des infirmier·ère·s accorde une place importante à la relation entre le personnel soignant et les patient·e·s, la notion de consentement éclairé, l’égalité entre les femmes et les hommes, l’accueil des personnes LGBTI, des personnes en situation de handicap et des personnes vulnérables, la communication, la prévention du sexisme et des violences et à la promotion d’une approche humaine des soins ;
- prévoir un mécanisme de signalement et d’examen des plaintes pour violences gynécologiques et obstétricales excluant toute médiation, et prévoir des sanctions à l’égard des professionnels de santé ;
- proposer un service d’assistance aux victimes de violences gynécologiques et obstétricales et assurer la prise en charge des soins…
La résolution complète est disponible ici.
Une validation politique de l’expression « violences obstétricales »
Cette résolution n’est pas contraignante. Elle constitue néanmoins une avancée majeure pour la reconnaissance politique des violences obstétricales.
Souvenez-vous du tollé provoqué à l’été 2017 par Marlène Schiappa, la Secrétaire d’Etat française à l’égalité entre les femmes et les hommes, lorsqu’elle a évoqué au Sénat la demande d’un rapport sur les violences obstétricales au Haut Conseil à l’Egalité. Toute la profession des gynécologues obstétriciens s’est mise vent debout pour fustiger ses propos et appeler à sa démission, dans une attitude de contrition victimaire face à une expression qu’ils ressentaient comme maltraitante à leur égard (voir mon billet).
Neuf mois plus tard, le Haut Conseil à l’Egalité lui-même a évité d’utiliser les mots violences obstétricales dans le titre de son rapport, préférant subtilement l’intituler « Actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical : reconnaître et mettre fin à des violences longtemps ignorées ».
L’Organisation Mondiale de la Santé, qui a appelé dès 2014 à mettre fin aux maltraitances des femmes lorsqu’elles donnent naissance, s’est elle aussi toujours abstenue d’utiliser l’expression violences obstétricales en intitulant ses recommandations « La prévention et l’élimination du manque de respect et des mauvais traitements lors de l’accouchement dans des établissements de soins » pour celle de 2014 et « Pour que l’accouchement soit une expérience positive, il est essentiel d’apporter des soins individualisés » pour celle de 2018.
Alors, quand les mots « violences obstétricales » retentissent dans l’hémicycle du Conseil de l’Europe à Strasbourg, c’est une victoire majeure pour la prise en compte de cette expression et de la réalité de ce qu’elle recouvre du point de vue des femmes.
La prise de conscience de parlementaires de 52 pays
Pendant les débats, des élu·es de 47 pays européens (auxquels s’ajoutent le Canada, le Mexique, le Japon, la Jordanie et le Saint-Siège comme observateurs) ont évoqué la culture patriarcale qui imprègne la médecine, la supériorité du médecin sur la parturiente et le sexisme que subissent les femmes qui donnent naissance à leur enfant. Certaines pratiques dangereuses et inacceptables étaient dénoncées avec force, comme le point du mari, les déclenchements non consentis, l’expression abdominale, l’épisiotomie de routine, les stérilisations forcées. Ont été évoquées les discriminations envers les lesbiennes, les porteuses du VIH, les migrantes, les femmes autochtones. Une parlementaire insistait sur l’importance du consentement libre et éclairé, une autre rappelait l’existence du syndrome de stress post-traumatique, une autre encore enchérissait sur la situation de grande vulnérabilité des femmes au moment où elles subissent les violences obstétricales (accouchement, IVG, etc).
En tant que militante qui ai, pendant des années, dénoncé ces actes, j’ai éprouvé un sentiment jouissif en entendant ces paroles portées de façon si juste et avec tant de conviction par des représentant·es démocratiques.
Beaucoup de ces parlementaires ont remercié la rapporteuse Maryvonne Blondin pour leur avoir ouvert les yeux sur cette forme de violence faite aux femmes, dont ils et elles ignoraient l’existence. Cette dernière a conclu en leur lançant « Il faut porter la parole dans vos parlements ! »
La révolution est en cours.
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Pour revoir le débat : Vidéo du débat sur les violences gynécologiques et obstétricales
Bravo au Conseil de l’Europe, et merci à vous une fois de plus, Marie-Hélène, de relayer l’information.
Symboliquement, c’est très important, mais reste à savoir quel poids sur le réel a une résolution de cette institution : les politiques nationaux en tiennent-ils vraiment compte ? Ce serait à vérifier. Vous rappelez judicieusement que la CEDH est une émanation du Conseil de l’Europe, et c’est là qu’il faut voir peut-être un espoir pour le futur. Espérons donc que la CEDH, informée et armée de cette résolution, saura promouvoir la bientraitance gynécologique et obstétricale et le libre choix des femmes en matière d’accouchement, cette “liberté d’accoucher” qui est un droit aussi essentiel que l’accès à la contraception et à l’IVG, comme l’a souligné l’excellent docteur Marc Zaffran… En effet, il faut se souvenir que la Cour donne l’impression d’hésiter beaucoup sur ce sujet : elle a d’abord condamné la Hongrie en 2010 pour l’emprisonnement de la sage-femme Agnes Gereb qui avait le tort de pratiquer des accouchements à domicile, puis a débouté en 2014 deux mères tchèques qui avaient attaqué leur pays car elles avaient du accoucher en maternité faute de sages-femmes AAD, interdites d’exercice à Prague…
Pourvu que toutes ces atteintes à la liberté et à la dignité des mères disparaissent grâce aux bonnes volontés militantes, aux journalistes attentifs, aux défenseurs des droits humains et enfin… à des juges sensibilisés sur cette question.
Effectivement, le CEDH a tergiversé sur ce sujet en prenant des positions contradictoires. Mais ces affaires remontent à 2010 et 2014. Quand je vois la vitesse avec laquelle le sujet évolue dans les médias et au niveau politique ces deux dernières années, il est très probable que la CEDH s’aligne à l’avenir sur une position beaucoup plus conforme à la résolution qui vient d’être adoptée.
Votre optimisme fait du bien à lire et met du baume au coeur du militant que je suis, qui a parfois l’impression que les choses avancent à la vitesse d’un escargot et qui se désespère de lire encore de nouveaux témoignages de ces violences, humiliations et abus de pouvoir commis sur des femmes au moment où elles portent un enfant et ou elles donnent naissance… Mais comme vous êtes juriste, vous connaissez ce monde des juges et des cours de justice mieux que moi, et donc votre parole porte et votre espoir est contagieux. Merci encore !
Le terme est juste et c est une réalité. J en ai été victime et pas des moindre… quels avantages cela représente si nous souhaitons dénoncer les pratiques violentes dont on a été victime ?
Au niveau individuel : mentionner l’existence de cette résolution dans les discussions avec les médecins, dans les courriers de plainte, etc. Cette recommandation a une valeur morale, et n’est plus l’élucubration de quelques militantes.
Au niveau collectif : interpeler ses élus pour ce que cette recommandation soit mise en oeuvre au niveau du pays.
bonjour Marie-Hélène,
Lors d’une rencontre autour de la naissance à Châteauroux, le 22 septembre, le Dr Vercoustre, gynécologue, a présenté un texte détonnant et inédit sur l’accouchement à la maison (information que je reprends d’un tweet de l’APAAD, association de sages-femmes pratiquant l’AAD) . Titre de la conférence et de son intervention : “pourquoi faut-il dénouer les liens entre la naissance et l’hopital”… à lire sur https://drive.google.com/open?id=1g9uFEjN4IgpeSM1ke5OVEiooG8yoTdkF …
Je ne sais pas si le lien marche…
Bonjour Marie-Hélène, j’accompagne depuis vingt ans des couples à mettre au monde leur enfant dans la joie, en milieu hospitalier… Quels recours ont les femmes françaises qui ont choisi l’accouchement physiologique, et qui ne souhaitent pas, une fois l’enfant né, l’injection d’ocytocine de synthèse obligatoire pour limiter les risques d’hémorragie de la délivrance ? Est-ce que signer une décharge pour que cet acte ne soit pas fait est une solution ? Merci pour votre réponse.
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