Après un viol, le viol gynécologique

Image du film « Le Viol ». Crédit : France 3

France 3 a diffusé hier soir le téléfilm « Le Viol » relatant l’histoire vraie du viol subi par deux jeunes touristes à Marseille en 1974, et qui a débouché pour la première fois sur un procès aux assises conduit par Gisèle Halimi, avocate des plaignantes. Ce procès a eu un retentissement national et a amené le législateur français à redéfinir la loi sur le viol en 1980. Ce film était suivi d’un débat auquel ont notamment participé les deux plaignantes qui sont revenues sur cette affaire 40 ans plus tard.

Pour résumer les faits, les deux jeunes femmes, en couple, ont installé leur tente pour une nuit dans les calanques en bord de mer. Trois jeunes hommes ont fait irruption dans leur tente, les ont brutalisées et les ont menacées de mort pour les violer à tour de rôle pendant 5 heures. Les victimes ont porté plainte à gendarmerie et les trois hommes ont été arrêtés dès le lendemain. Le film évoque ensuite l’impact de ce viol sur leur vie quotidienne, les crises de panique auxquelles elles doivent faire face, l’incompréhension de leur entourage, les phrases assassines qu’elles doivent endurer, la grande mobilisation des femmes contre les agressions sexuelles et les méandres judiciaires jusqu’au procès à la cour d’assises d’Aix-en-Provence.

Une séquence montre l’examen gynécologique que les deux femmes subissent juste après leur viol. Alors qu’elles sont recroquevillées dans leur lit d’hôpital, un gynécologue et trois étudiants en médecine entrent dans la chambre. Le professeur exige que la première descende jusqu’au bord du lit. Il empoigne ses jambes et les écarte. Il effectue un toucher vaginal tandis que la caméra montre le visage tuméfié de la jeune femme qui grimace de douleur, puis, s’adressant à ses futurs confrères, il déclare « je peux y introduire un doigt, qu’est-ce que ça signifie ? ». Il demande ensuite à un étudiant de refaire le geste. Ce dernier approche sa main du sexe de la victime, puis se fait rabrouer par le professeur parce qu’il ne porte pas de gants. Le gynécologue demande ensuite à un autre étudiant d’effectuer, lui aussi, le toucher vaginal. Ce dernier confirme pouvoir également introduire un doigt. Le professeur redemande ce que cela signifie, et, devant le silence de ses élèves, répond « si on peut introduire un doigt, c’est qu’elle n’est plus vierge ».

Le groupe se déplace ensuite vers l’autre victime. Le gynécologue reproduit le même geste consistant à écarter de force les jambes de la femme, tandis qu’un étudiant braque une lampe vers son sexe. Le professeur effectue un toucher vaginal sur la patiente qui, elle aussi, se tord de douleur, tout en expliquant aux trois autres hommes qu’il n’y a pas de lésion. Il poursuit son exploration pelvienne et précise qu’il n’y a pas eu de pénétration anale. Il conclut l’examen par un « ce n’est pas bien grave tout ça » avant d’inviter le groupe à passer à la chambre suivante.

Par son côté clinique et par le contraste entre l’attitude des femmes et celui des soignants, l’examen gynécologique effectué par quatre hommes sur ces deux rescapées d’un viol collectif est une séquence du film presque insoutenable. Lors du débat qui a suivi, les deux femmes sont revenues sur la violence de cet examen médical. L’une d’elle a précisé qu’elle était dans un tel état de choc suite à ces actes médicaux qu’elle s’est vue administrer une piqûre provoquant une perte momentanée de mémoire.

En effet, peu de choses différencient le viol commis par les trois hommes dans la tente, du comportement de ces quatre soignants. Dans les deux situations, les hommes sont en position de domination par leur nombre, donnent des ordres aux femmes, les forcent à écarter les jambes et à subir des pénétrations sexuelles. Dans les deux situations, les hommes s’invitent l’un l’autre à passer à l’acte, ne prennent en considération ni le consentement des femmes, ni leur ressenti, et les traitent comme des corps dépourvus d’humanité.

Les trois violeurs ont été condamnés. Le médecin n’a jamais été inquiété. Il est même très probable que ce gynécologue n’ait pas conscience de la parenté entre son comportement et un viol. Il est presque certain qu’il s’offusquerait d’être assimilé à un violeur. Face à une telle accusation, il s’insurgerait en évoquant la différence d’intention entre un violeur et un médecin, il disserterait sur l’acte strictement médical qu’il pose en précisant même qu’il ne prend pas de plaisir, ou encore il s’épancherait sur la nécessité de former des futurs médecins en les mettant au contact de patientes. Comme de nombreux soignants, il n’a pas conscience de l’importance du consentement de la patiente pour chaque acte médical, alors même que le consentement est la notion centrale débattue durant tout ce film sur le viol.

Cette séquence met aussi en évidence l’incapacité de gynécologues à prendre en charge de façon respectueuses les patientes ayant subi des violences sexuelles, ce qui transforme un examen médical en un traumatisme supplémentaire. Aucune formation n’est dispensée sur le viol durant les études de gynécologie. Seul un diplôme inter-universitaire « prise en charge des violences faites aux femmes, vers la bientraitance » est proposé depuis cette année, dans le cadre de la formation continue des soignants, par les universités de Paris Descartes, de Montpellier et de Grenoble.

A l’heure où les violences obstétricales sont évoquées dans tous les médias, cette mise en perspective historique avec la mobilisation contre le viol des années 1970 est particulièrement intéressante. Espérons que les gynécologues obstétriciens prennent la mesure de l’impact négatif de certaines de leurs pratiques sur les patientes et qu’ils revoient les fondements de leur profession. A défaut d’un changement rapide et généralisé dans leurs relations avec les patientes, il est possible qu’il faille passer par un procès politique sur les violences obstétricales, dans la lignée du procès de Bobigny qui a précipité l’adoption de la loi Veil sur l’IVG, et de celui d’Aix-en-Provence qui a conduit à une révision de la loi pour enfin considérer le viol comme un crime.

Le téléfilm « Le Viol » est disponible en replay pendant quelques jours.

La bande annonce:

This entry was posted in Le privé est politique and tagged , , , , , , , , , , , , , , , , , . Bookmark the permalink.

24 Responses to Après un viol, le viol gynécologique

  1. “Le professeur redemande ce que cela signifie, et, devant le silence de ses élèves, répond « si on peut introduire un doigt, c’est qu’elle n’est plus vierge ».” Sur le plan anatomique c’est risible, sur le plan judiciaire, cette information ne présente pas d’intérêt sauf à considérer que le viol d’une vierge serait plus criminel que le viol d’une non-vierge. Dans tous les cas c’est pourtant une personne qui est violée.
    Je n’ai pas vu le film encore…

    • Marie-Hélène Lahaye says:

      Tout à fait.
      La séquence ressemblait plus à un professeur qui voulait former ses élèves en les promenant de chambre en chambre qu’à une réelle expertise médicale.

    • Lexy says:

      Pour le plan judiciaire: mes parents possèdent une vieille encyclopédie; à l’article viol, on déclare que le viol est improuvable sauf éventuellement pour la déchirure de l’hymen. Les deux victimes étant indiquées comme célibataires, on en déduisait par préjugé qu’elles étaient forcément vierges.
      ( mais ça en reste révoltant)

  2. Anne Evrard says:

    Attention: si le DIU que vous citez n’a pas pu se tenir cette année, ce n’est pas par manque de candidats intéressés par la formation, mais par le trop court délai à partir de la sortie du DIU pour que la formation de ces candidats soient prises en charge avant le début des cours.
    Il serait dommage de laisser penser que c’est une question de désintérêt alors que c’est une question de financement.

  3. Sb says:

    Article passionnant merci Marie-Hélène pour ces précisions si criantes de vérités… Il est encore loin le temps où les femmes seront enfin respectées, même si je le souhaite proche pour le bien-être de tous. Tout parait tellement de bon sens mais malheureusement pas pour tous les professionnels de santé, à l’image de celui dans ce film, par manque de formation surement, d’empathie, d’éducation, ou autre… Ils se transforment alors en bourreaux faisant beaucoup plus de mal que de bien. Vivement que le rapport demandé par la Secrétaire d’État à l’Égalité voit le jour pour que des mesures soient enfin prises pour laisser les violences obstétricales et gynécologiques au banc des mauvais souvenirs.

  4. Maubouss says:

    Rien n’excuse ça , bien sûr, c’est monstrueux .

    MAIS CA SE PASSE EN 1974 IL Y A 43 ANS BORDEL ! ! ! !

    • Maud says:

      Et donc??? C’était normal en 1974 de déshumaniser des personnes comme ça?? L’humain est passé complètement à la trappe! Le fait que le viol n’était à l’époque pas reconnu n’excuse pas le comportement du médecin.
      Je ne suis pas certaine que les personnes victimes de viol sont traitées si différement aujourdhui.
      Sans parler de la connerie monstrueuse de faire un rapport entre l’absence de virginité et le fait de pouvoir introduire un doigt dans le vagin. C’est tout simplement absurde.

    • Et ? En 1974 les médecins étaient dispensés d’humanité? D’empathie? De considération?

    • Marie-Hélène Lahaye says:

      Il y a toujours aujourd’hui des examens gynécologiques pratiqués sur des femmes victimes de viol. En outre, 10% des patientes des gynécologues ont subi des violences sexuelles antérieures. Encore aujourd’hui, un très grand nombre de gynécos sont incapables de les identifier et de les prendre en charge sans ajouter un traumatisme à ce qu’elles ont vécu.

      Enfin, les propos que j’ai mis au conditionnel dans la bouche du gynéco du film sont des propos tenus par des médecins d’aujourd’hui. Je les ai notamment entendu prononcer ces paroles pour justifier les touchers vaginaux effectués par des étudiants sur des patientes endormies au bloc opératoire.

      • bertrand says:

        Vous dites gynécologues en sous-entendant que se soient des hommes mais c’est loin d’être toujours le cas et généralement les femmes sont plus douces mais là aussi ce n’est pas toujours le cas … Je n’ose imaginer ce que mes filles ont subis lors de cette intervention après avoir été agressé par un cousin de leur mère surtout lorsque vous avez moins de 10ans …

        • Do says:

          C’est vrai, des femmes gynécologues ne sont pas plus délicates. De par mon expérience personnelle , elles étaient pires que les homme gynécologues qui ont croisé mon vagin…

  5. Christine says:

    Maubouss : le problème, c’est qu’il y a pas une grande différence entre ce qui s’est passé il y a 43 ans et aujourd’hui…

  6. violette aussi says:

    j’ai regardé le film hier. En effet il y a bien des parentés avec ce qui se passe aujourd’hui: dans un certain nombre de circonstances, au nom d’un certain nombre de “bonnes” raisons, notamment médicales sous nos latitudes, le vagin d’une femme devient un boulevard ouvert à la circulation. A d’autres moments on va le sacraliser, ce qui, à mon avis est tout aussi dangereux puisque cela donne lieu à d’autres pouvoirs: épouser le violeur, par exemple, loi qui vient d’être supprimée dans plusieurs pays (Tunisie, Liban, Jordanie …) grâce aux luttes des femmes. http://www.telerama.fr/autres/la-fin-des-noces-barbares,N5206833.php
    et puis on distribue des injonctions: faire des enfants ou…ne pas en faire, selon les besoins, les lieux, les régimes..
    Mille et une façons de considérer à l’unanimité que le corps des femmes ne leur appartient pas.

  7. Sharkeus says:

    MAIS OUI BORDEL ! C’était en 1974 il y a 43 ans ! Comment des médecins, en l’occurrence un chef de service, pouvait-il se permettre il y a seulement 43 ans de mépriser la pudeur et les souffrances de deux femmes qui venaient d’être violées.
    Je n’ai pas vu le téléfilm non plus mais je ne capte pas ce qu’aurait voulu signifier ce médecin en sous-entendant (de stupide façon) que les femmes n’étaient pas vierges. Voulait-il dire que violer une femme non-vierge n’avait pas grande importance ?
    J’ai entendu tout récemment (est-ce que cela venait du téléfilm ?) une chose intéressante. Cela concerne le champ lexical mais il est souvent tellement signifiant : Une femme violée ne s’est pas faite violer, elle a été violée.

  8. Viv says:

    Les examens gynécologiques (et pas seulement, les viols interessent aussi les hommes et enfants des deux sexes) après un viol ou une agression se font normalement via des filières spécialisées,impliquant urgentiste, gynécologue et légiste, et nécessitent une formation. Ils servent à établir le bilan des lésions externes et internes, à établir le certificat médical descriptif qui servira pour la procédure, et a effectuer des prélèvements sur réquisition de l’autorité judiciaire, permettant parfois de confondre les coupables. C’est aussi un temps de soin, ou l’on peut etre amene a suturer des plaies, où l’on propose à la victime contraception d’urgence, antibiotiques et antirétroviraux préventifs.
    C’est un temps nécessaire et qui doit avoir lieu le plus rapidement possible pour que les prélèvements soient valables et les traitements efficaces. Avec respect et information naturellement, mais probablement sur une personne encore choquée. On sollicite les psy rapidement..ca ne peut pas être autre chose qu un moment angoissant et désagréable, mais on peut difficilement passer outre.

    • Marie-Hélène Lahaye says:

      Dommage que je ne vois pas apparaître les mots “consentement de la patiente” dans votre message. C’est bien là tout l’enjeu, et c’est précisément ce qui différencie un soin d’une agression sexuelle.

  9. Viv says:

    Parce que c’est une évidence?

    • Marie-Hélène Lahaye says:

      Justement, non. C’est loin d’être une évidence pour les soignants. Ce n’est tellement pas une évidence que bon nombre d’entre eux expliquent ne pas appliquer la loi kouncher sur le consentement parce qu’elle serait (selon eux) “inapplicable”. Votre message est caractéristique de ce mode de pensée où le consentement, qui devrait être la base du soin, est évacué sans même être mentionné.

  10. Choquée says:

    Merci d’éveiller les consciences!
    C’est très éloigné d’un accouchement mais j’ai dû, après quelques histoires personnelles encore difficiles pour moi à relater, faire un examen gynécologique dans un cabinet de radiologie (échographie) et alors que le radiologue ne parvenait pas à voir correctement l’utérus via l’examen sur peau, il m’a demandé de tout enlever sans une once d’humanité, puis a introduit l’appareil intra utérin sans plus de cérémonie et a balancé l’appareil de droite à gauche sans se soucier que j’étais en train de pleurer de douleur. D’ailleurs à ce constat il m’a simplement dit “allons allons, c’est bientôt fini et ça ne fait pas mal”. Si, cela m’a fait très mal et j’étais totalement humiliée.
    Même expérience pour la mammographie (écrasement des seins sans compassion, etc). Les radiologues sont pareils voire pires que les gynéco!
    Vivement qu’ils soient sensibilisés à ce qu’ils font subir aux autres…
    Encore merci pour votre combat.

  11. Johanna says:

    Ça se passe encore de nos jours…
    Pour ma part j’ai du faire une hysterographie. Je rejoins les propos de Choquée sur les radiologues. Le radiologue qui l’a pratiqué a jugé utile de me tâter le périnée avec insistance tout en m’expliquant que le périnée était un muscle et qu’il fallait le détendre… comment se détendre quand un inconnu met ses doigts dans votre vagin? et en plus l’examen n’a pas été bien fait, avis de mon gynécologue lorsqu’il a vu la radio.
    Je suis sortie choquée et humiliée. Je suis en PMA et ce n’est malheureusement pas la seule mauvaise “anecdote” sur ce parcours.
    Merci Marie-Hélène pour votre blog! riche d’articles et de témoignages.

  12. marguerite says:

    J’ai été hospitalisée début janvier 2018 par mon endocrinologue pour différents contrôles en rapport avec mon diabète; je lui avais indiqué avoir fait l’objet d’un suivi gynécologique dans le cadre de la prévention des cancers du sein et de l’utérus en décembre 2017 ce qui ne l’a pas empêché d’EXIGER de la part d’un gynécologue de sa clinique, un examen complet avec frottis, toucher vaginal etc
    Le matin même de cet examen, mon taux de sucre dans le sang était anormalement élevé m’empêchant tout consentement éclairé MAIS l’examen a eu lieu malgré tout; se rendant compte des suites possibles de ses gestes, le gynécologue a tenté de m’intimider en se rendant le lendemain DANS ma chambre d’hôpital.
    Heureusement mon mari me faisant une visite à ce moment là, il n’a pas insisté MAIS profondément choquée par un tel comportement j’ai décidé de quitter la clinique le soir même donc AVANT la fin prévue de mon hospitalisation.
    Dans le cadre de la loi KOUCHNER de mars 2002, nous avons ENFIN obtenu l’accès à mon dossier médical et nous allons déposer 3 plaintes dont 2 visant le gynécologue pour abus de faiblesse sur personne vulnérable par personne exerçant sa qualité + viol caractérisé et 1 visant l’endocrinologue pour abus de pouvoir sur personne vulnérable

    • LACROIX says:

      BRAVO ….pour UNE FOIS où une femme ose enfin intervenir et dénoncer ces pratiques dignes de la Shoah… Il faut PARLER, INTERVENIR, déposer plainte pour maltraitance, même, et très probablement, ce sera encore un tribunal d’hommes qui statuera, par des mecs tout puissants sur LES FEMMES, l’inférieure…..car nous en sommes LA, en l’an 2018……fini, les non-dits, les silences, les traumatismes à vie, pour ne pas avoir OSER dire sa souffrance et humiliation, par ces procédés et exécutions dignes du moyen age ……..

  13. melanie ferreol-ragotin says:

    et oui c vrai j ai été violée y a 9 ans et l examen des umj a été aussi traumatisante que le viol lui meme

Leave a Reply to Maud Cancel reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *