Notre action lors du congrès annuel des gynécologues et obstétriciens

Chaque année, le Collège national des Gynécologues et Obstétriciens de France (CNGOF) tient son congrès qui regroupe 3000 professionnels de « la santé de la femme ». Alors que, depuis cet été, la question des violences obstétricales est évoquée dans les médias, la parole des femmes se libère, le Livre noir de la Gynécologie de Mélanie Déchalotte est dans les librairies et un rapport sur les violences obstétricales est demandé au Haut conseil à l’Egalité par la secrétaire d’Etat Marlène Schiappa, pas un mot sur les violences obstétricales ne figurait au programme de ce congrès. Les gynécologues obstétriciens se retrouvaient une fois de plus dans un entre soi feutré, déconnecté de la société et des questions qui sont pourtant au cœur de leurs pratiques.

Ce phénomène de déconnexion des enjeux sociétaux est une constance dans cette profession. En février 2015 éclatait l’affaire des touchers vaginaux sur patientes endormies. Malgré la médiatisation de cette pratique, malgré l’émoi dans l’opinion publique, malgré la prise de position du Collège des Doyens qui en a reconnu leur existence et malgré la demande d’un rapport à l’IGAS par la Ministre de la Santé de l’époque, le congrès des gynécologues et obstétriciens de 2015 n’a proposé aucun atelier pour réfléchir à la fin de cette pratique illégale. Le congrès de 2016 n’a pas, non plus, fait la moindre allusion à cette affaire, ni aux témoignages de plus en plus nombreux de femmes dénonçant les maltraitances subies dans la salle d’accouchement. « Circulez, il n’y a rien à voir » est le mot d’ordre général, permettant de maintenir le déni sur toute critique émanant de non médecins.

Mais dès 2015, l’idée de faire une descente au congrès des gynécologues obstétriciens germait chez les militantes heurtées par un tel aveuglement.

C’est la raison pour laquelle cette année, un collectif baptisé « Le OFF du CNGOF » dont la liste des participants figure en bas de ce billet, et dont j’ai été nommée porte-parole, a décidé de mener une action symbolique à l’entrée de ce congrès, ce mercredi 6 décembre à 13h45, au moment où les 3000 gynécologues obstétriciens regagnaient le Grand Palais de Lille où ils étaient attendus pour la plénière.

A notre arrivée, nous avons constaté que des affiches et des tags hostiles aux professionnels étaient apposés en toute illégalité aux alentours du bâtiment. Notre action n’avait rien à voir avec ces actes répréhensibles. Nous condamnons fermement tous ces actes de vandalisme et nous nous désolidarisons totalement de leurs propos proférant des insultes gratuites.

 

Les trois singes et la voix des femmes

Notre action symbolique consistait à mettre en scène trois gynécologues mimant les trois singes qui ne veulent rien entendre, rien voir et rien dire, tandis qu’une femme dénonce les violences gynécologiques et obstétricales au mégaphone.

Nous demandions que le CNGOF mette tout en œuvre pour :

 

  1. faire respecter les recommandations médicales par l’ensemble des gynécologues obstétriciens dans toutes les maternités.
  2. mettre en place toutes les conditions nécessaires pour que les femmes puissent accoucher en toute sécurité physique, affective et émotionnelle, notamment en prévenant la iatrogénie et recherchant toujours la pertinence des actes.
  3. reconnaître l’autonomie des femmes et faire respecter la loi qui impose une information loyale et préalable de la patiente, et le recueil de son consentement libre et éclairé pour chaque acte médical (loi Kouchner).

Nous voulions ensuite obtenir l’accès à la salle plénière pour, pendant quelques minutes, expliquer aux professionnels ce qu’étaient ces violences. A cette fin, nous avons envoyé la veille un email au Président du CNGOF, Israël Nisand, lui demandant de y nous laisser prendre la parole, afin qu’il ne soit pas pris au dépourvu. De cette façon, son consentement ou son refus serait libre et éclairé. Comme vous pouvez le constater dans l’échange ci-joint (cliquez sur l’image pour lire l’échange d’emails), Israël Nisand a refusé.

Le jour même, nous avons réitéré notre demande d’être entendues par l’ensemble des médecins pendant quelques minutes, qui a une nouvelle fois été refusée.

En revanche, l’attachée de presse du congrès a invité les journalistes présents à notre action, et eux seuls, à rencontrer Israël Nisand.

Voici la vidéo de notre action :

#LeOFFduCNGOF

Publié par Paye Ton Gynéco sur mercredi 6 décembre 2017

 

Notre action était également relayée sur Twitter en temps réel:

 

Les réactions des gynécologues obstétriciens

En passant devant notre installation, nombreux ont été les médecins à manifester des réactions négatives. « C’est une honte », a dit l’un au pas de charge. « Vous nous agressez », ont lancé d’autres sans s’arrêter. « Vous n’y connaissez rien !», a martelé encore un autre. Un groupe de gynécologues nous ont sifflées et nous ont huées avant de s’engouffrer dans le bâtiment du congrès. Un obstétricien a posé devant notre installation en faisant l’idiot pendant que quelques confrères le prenait en photo.

Certains se sont approchés de nous. Deux médecins, faignant de nous ignorer, ont lu à voix haute nos pancartes en confirmant leur validité, ce qui donnait « ‘Mieux vaut couper que laisser le périnée se déchirer’… Oui, c’est juste » (démontrant qu’ils ignoraient les recommandations du CNGOF sur l’épisiotomie), « ‘Sans nous, vous seriez mortes’… Oui, c’est évident » (en ignorant donc les causes de mortalité maternelle dans le passé). Une gynécologue, écoutant la liste des violences infligées aux femmes portée au mégaphone, a déclaré d’un ton méprisant « je n’ai pas beaucoup entendu parler du bébé » (comme si les jeunes mères souhaitaient la mort de leur bébé).

Un autre a expliqué à l’une d’entre nous que « C’est quand même hyper violent cette façon d’agir. Le mot ‘violence’ est exagéré ». Il est resté sans voix lorsque notre comparse lui a répondu : « Monsieur, je suis moi-même étudiante en médecine, et je me rends bien compte que le respect n’est pas toujours au rendez-vous. C’est juste que vous ne voulez pas voir ! ».

Parfois, de véritables dialogues se sont noués. Comme cette obstétricienne qui a commencé sur le mode du yaka : « vous n’aviez qu’à porter plainte », « vous n’aviez qu’à choisir un gynécologue respectueux », « vous n’aviez qu’à ne pas imaginer l’accouchement comme un ‘cui-cui les petits oiseaux’ ». Puis, face aux nombreuses explications sur l’impossibilité de voir une plainte aboutir en raison de la non-reconnaissance des violences obstétricales, l’impact de ces maltraitances sur la mise en place du lien mère-enfant et sur la vie familiale, les coûts très important de prise en charge médicale des séquelles, cette professionnelle a fini par avouer qu’elle n’avait pas de solution.

Inversement, des médecins nous ont soutenues et étaient d’accord avec nos revendications. Certains évoquaient avec nous un conflit de générations entre les soignants, les plus jeunes étant sensibles aux changements de société, à la création d’une relation plus horizontale entre soignants et patients, et à l’importance d’impliquer les femmes dans l’élaboration des nouvelles pratiques. Un obstétricien nous a longuement parlé de sa pratique quotidienne basée sur le dialogue avec les futurs parents, son travail sur les aspects émotionnels de la naissance, les groupes de parole destinés aux pères qu’il a mis en place, en expliquant tout en douceur à quel point il était en décalage avec les actes que nous dénonçons. D’autres obstétriciennes, qui connaissaient personnellement certaines d’entre nous, sont discrètement venues nous soutenir.

Alors que nous rangions notre matériel, une jeune gynécologue s’est précipitée à notre rencontre, pour nous expliquer à quel point elle appréciait notre action. Elle-même est devenue mère avant d’être médecin, et est révoltée, elle aussi, contre les violences obstétricales. Elle nous a vivement encouragées à continuer nos actions parce que nous l’aidions dans sa pratique et dans sa volonté de changer les choses.

Les retour des journalistes après leur entretien avec Israël Nisand

Sur ces entrefaites, les journalistes sont revenus de leur entretien avec Israël Nisand et se sont empressés de recueillir mes réactions à ses propos.

Le président du CNGOF a expliqué aux journalistes que les violences obstétricales ne représentaient qu’un phénomène dérisoire puisque, selon lui, aucune plainte à ce sujet n’a été déposée en 2016 et en 2017. Sa réflexion fait preuve non seulement de déni, mais aussi d’ignorance et de sexisme.

En effet, je connais plusieurs femmes qui ont déposé plainte, notamment à la police, contre leur obstétricien afin d’entamer des poursuites pénales pour violences pendant leur accouchement. Un plus grand nombre de femmes m’ont également contactée pour obtenir des informations parce qu’elles souhaitaient se lancer dans des démarches judiciaires.

Israël Nisand fait également preuve de sexisme en considérant que la parole des femmes n’a, en soi, aucune valeur. En bon défenseur d’une société patriarcale, il estime que ne doivent être pris en compte que les témoignages de femmes validées par des hommes, en l’occurrence par cette autre institution patriarcale qu’est la justice (qui se montre incapable de condamner les auteurs de violences faites aux femmes – violence conjugale, fémicide, viol – à la hauteur des crimes commis). Il s’inscrit ainsi dans la lignée de certaines sociétés patriarcales qui considèrent qu’il faut deux voire quatre femmes qui témoignent pour confirmer un fait, là où un homme seul suffit.

Israël Nisand a ensuite déclaré qu’il n’avait jamais une telle mobilisation contre les gynécologues si ce n’est de la part des anti-IVG. Surprise par ses propos démontrant son ignorance sur les revendications des femmes qui souhaitent pouvoir accoucher sans être violentées, une journaliste lui a demandé s’il pensait réellement que j’étais anti-IVG. Il s’est contenté de répondre par un évasif « Il serait intéressant de lui poser la question ».

Je peux donc rassurer Israël Nisand sur le fait que non seulement je ne suis pas anti-IVG, mais en plus je défends activement le droit à l’IVG pour toutes les femmes.

Par exemple, en juin 2016, j’ai lancé l’alerte contre la prise de position d’Elisabeth Paganelli, Secrétaire générale du SYNGOF, qui a déclaré qu’elle refusait d’accorder un jour d’arrêt maladie aux femmes qui avortent, en les enjoignant d’avorter un jour férié (voir mes billets ici, ici et ici). J’ai dénoncé cette inacceptable entrave à l’IVG pour les femmes qui doivent déjà surmonter un grand nombre d’obstacles pour accéder à l’avortement dans les délais légaux. Mon alerte a été largement reprise par la presse (voir les articles dans Libération, Le Nouvel Obs, Slate, Marie-Claire, sur Europe 1 et RTL, et même évoquée par la présentatrice et médecin de France 5 Marina Carrère D’Encausse).

Malgré ces nombreuses dénonciations, le CNGOF et Israël Nisand sont restés silencieux sur le dérapage anti-IVG du principal syndicat des gynécologues obstétriciens.

Il faut donc une fois de plus supposer qu’Israël Nisand est particulièrement mal informé sur le mouvement qui dénonce les violences obstétricales et qui promeut le droit pour chaque femme à disposer de son corps, et qui inscrit cette lutte dans la lignée de celle pour le droit à la contraception et à l’IVG. Ou alors qu’il cherche à le décrédibiliser en usant de dénigrements infondés, et en tentant, dans un soubressaut désespéré, de propager des rumeurs mensongères pour s’attaquer à ce mouvement.

Vivement que la nouvelle génération de gynécologues obstétriciens, celle qui est venue nous manifester leur soutien, celle qui considère comme normal que les femmes disposent de leur propre corps, émerge et se fasse enfin entendre.

 

Liste des participants au OFF du CNGOF

Sonia Bisch (interview En marche contre les violences gynécologiques et obstétricales)

Nina Faure, réalisatrice

Pascale Gendreau, formatrice aux Doulas de France

Caroline He, représentante de l’IRASF

Marie-Hélène Lahaye, auteure du blog Marie accouche là

Sarah Lahouari, créatrice de la page Paye ton Gynéco

Marjorie Roux de l’association Bien Naître au XXIème siècle

Saphrane Merlier, animatrice d’ateliers autour de l’accouchement respecté au sein de l’association La maison des petits explorateurs

Nina, membre de l’association Pour une MEUF

Julie Leau et Tatiana Paquier.

Et toutes les autres militantes et militants sur place et à distance, qui nous ont aidé.es en amont, en temps réel et sur les réseaux sociaux.

 

Les articles de presse qui ont relayé notre action

Mon interview dans Libération : Violences obstétricales : « les gynécologues n’écoutent pas les femmes ».

Elle : BalanceTonAccouchement : quand un collectif interpelle les gynécos sur les violences obstétricales

Santé Magazine : Violences obstétricales, les femmes essayent de se faire entendre

Les Nouvelles News: Violences obstétricales : des militantes donnent de la voix au Congrès des gynécos

Destination Santé : Déclencher l’accouchement : jamais sans l’avis de la patiente

La Dépêche : Déclencher l’accouchement, jamais sans l’avis de la patiente

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8 Responses to Notre action lors du congrès annuel des gynécologues et obstétriciens

  1. Aixur says:

    Magnifique action. Bravo !

    J’espère que ça sera le début d’un grand mouvement. Il faut que ces horreurs cessent.

  2. Vervaine says:

    Bravo, bravo, bravo pour votre action ! Je salue votre courage à toutes. Il en faut du courage pour tenir tête à ces gens imbus d’eux-même et à ce système qui les cautionne. Moi-même, je m’indigne derrière un pseudo Twitter, mais je ne sais pas si j’aurais votre courage devant les vrais gens!
    Et sinon, je note le petit espoir de voir que des vrais gynécos -jeunes- ont pris conscience du problème et que la relève semble plus prometteuse que la vieille garde. Ouf !

  3. Pierre says:

    Bravo pour votre action ! Il semblerait, d’après ce que vous écrivez, que la jeune génération de gyneco-obs est un peu différente de l’ancienne, moins imbue de son pouvoir. Les choses commenceraient-elles à changer doucement dans ce bastion du paternalisme médical ? Souhaitons que les jeunes praticiens prennent le pouvoir aussi vite que possible…

  4. Maryline says:

    C’est dur de se heurter à la réaction des médecins. Elles sont dures ces phrases, notamment “je n’ai pas beaucoup entendu parler du bébé”… Comme si les femmes, en se battant contre les violences obstétricales, ne souhaitaient pas dans le même temps le meilleur pour leur bébé. Le fait, c’est que bébé, c’est carrément un autre sujet…
    On aurait aussi bien pu dire “je n’ai pas beaucoup entendu parler du papa”. Cela n’a pas de sens. Le papa, on l’aime très fort, mais ce n’est pas lui qui vit la maltraitance dans son corps. Alors le papa aussi, c’est un autre sujet. Oui, nous parlons de nous-mêmes, femmes égoïstes que nous sommes, et oui, nous dénonçons les violences obstétricales, les violences autour de la naissance, les violences dont nous sommes victimes.
    Et oui, nous aimons nos enfants. Merci

  5. Maryline says:

    Et bien sûr, il me faut rajouter ceci : on ne peut pas, en l’état actuel des choses, reprocher à une femme d’avoir imaginé son accouchement comme un “cuicui les petits oiseaux”. Puisque les femmes ne sont pas correctement INFORMEES en amont, de ce qu’est réellement un accouchement.
    Un accouchement, oui ça peut être l’Horreur, oui il vaut mieux le savoir AVANT, mais justement, en l’état actuel des choses, on n’informe surtout pas les femmes, parce qu’on ne veut surtout pas avoir à gérer l’état psychologique dans lequel la plupart d’entre nous se trouveraient si elles SAVAIENT, ne serait-ce que sur la question de la douleur.
    Voici un exemple : pour ma part, j’avais confié quelques craintes sur les accidents d’accouchement à la sage-femme qui me suivait (la même qui m’avait dit “les contractions oui ça fait mal, après, est-ce que ça fait très mal, je ne sais pas), et cette dernière m’a répondu “Oui, c’est compliqué si ce type d’accidse produit, mais vous savez, nous sommes toute une équipe, on met des choses en place pour vous ramener”.
    Cette nuit là, “toute une équipe”, c’était : une sage-femme de garde (seule pour tout l’étage), et une auxiliaire puéricultrice qui ne savait plus où se trouvait la bassine à vomi et le sopalin, c’est le très heureux futur papa qui a dû s’occuper de ces détails.
    Il n’y a pas eu d’accident, il ne valait mieux pas. Quelques jours plus tard, j’ai revu cette sage-femme, elle était incapable de me regarder droit dans les yeux.
    Autre exemple : un livre sensé nous informer sur l’accouchement “vous pouvez demander la péridurale dès que vous avez trop mal”. Mensonge par omission. Oui, on peut demander la péridurale, certes, dès que nous avons “trop mal”. L’obtenir, c’est un autre sujet.
    Toujours est-il que dans ces conditions, on peut difficilement nous reprocher, après coup, d’avoir été naïves.

    • Maryline says:

      PS : c’est aussi le très heureux futur papa qui a dû passer l’escabeau à l’AP pour qu’elle monte dessus pour appuyer sur mon ventre pour aider bébé à sortir. Je précise que je n’ai pas vécu ce geste comme une violence, d’une part j’avais la péridurale donc j’ai évité la douleur, en revanche, il est clair qu’on ne m’a pas demandé mon consentement (peut-être à cause de l’urgence pour bébé). Egalement, ça me pose question quand je lis ici et là que ce geste est interdit car potentiellement dangereux…….. En cours d’accouchement, on nous avait appris que ce geste pouvait être pratiqué et on ne nous l’a pas présenté du tout comme une chose à ne pas faire…

  6. virginie says:

    Quelque chose me turlupine en relisant cet article, c’est un congrès “qui regroupe 3000 professionnels de la santé de la femme” … mais je ne vois nul part fait mention des sages-femmes ? Simple omission basique dans la rédaction de l’article ou encore un fois sont-elles laissées de côté ?

    Et un grand Bravo pour cette action !

  7. Madhur Bazar says:

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