Isabelle BRABANT : « Je m’adresse à des femmes intelligentes, adultes, capables de faire des choix pour elles-mêmes et leur bébé »

Isabelle Brabant

Isabelle Brabant

Le livre « Une naissance heureuse » d’Isabelle BRABANT est un ouvrage d’accompagnement de la  grossesse et de l’accouchement, considéré comme la référence dans le milieu de la naissance respectée.

Entre les livres anxiogènes et mortifères énumérant toutes les malformations du fœtus et les dangers pour la mère, et ceux expliquant aux femmes la bonne façon d’accoucher en se soumettant aux gestes médicaux, l’ouvrage de cette sage-femme québécoise constitue une vraie bouffée d’oxygène pour les femmes enceintes. C’est donc avec beaucoup de bonheur que j’ai rencontré Isabelle BRABANT qui m’a fait le plaisir de répondre à quelques questions.

Pouvez-vous raconter votre parcours en quelques mots ?

Je suis sage-femme depuis 35 ans. J’ai eu un parcours « organique ». Lors de mon premier accouchement, j’ai été transpercée par la beauté de la naissance qui me semblait en totale opposition avec la médicalisation hospitalière. J’ai alors réfléchi à la meilleure façon d’accompagner une femme enceinte. Je n’étais au départ pas du tout impliquée professionnellement dans le domaine de la santé. Je me suis lancée dans des recherches personnelles et je me suis mise à étudier dans des livres d’obstétrique. Deux ans plus tard, j’ai accouché à domicile, sans sage-femme puisque cette profession avait disparu au Canada. J’ai poursuivi ma formation en autodidacte, avec quelques femmes qui partageaient ma démarche, en dehors de toute école, en considérant que la première personne auprès de qui on apprend le métier de sage-femme est la femme qui accouche. J’attache une grande importance à l’apprentissage sur base du compagnonnage. Tout ne se trouve pas dans les livres. Chaque accouchement est une école. Chaque femme est un maître. C’est de cette façon que j’ai participé à la restauration du métier de sage-femme au Canada.

A partir de 1979, je me suis engagée, avec un noyau de militantes, pour la reconnaissance du métier de sage-femme. Ce combat a duré 20 ans, puisque ce n’est qu’en 1999 que la profession de sage-femme a été reconnue au Québec.

Aujourd’hui, je continue à exercer mon métier au sein d’une équipe interdisciplinaire qui vient en aide à des familles vulnérables.

UneNaissanceHeureuseEn Europe, vous êtes surtout connue comme l’auteure du livre « Une naissance heureuse ». Qu’est-ce qui vous a poussé à l’écrire ?

Dans les années ’80, je cherchais des livres à conseiller aux femmes que j’accompagnais. Malheureusement il n’existait que des livres en provenance de France. Je les trouvais extrêmement paternalistes,  s’adressant aux femmes comme s’il s’agissait d’enfants. J’ai alors commencé à écrire un livre sur la grossesse et l’accouchement pour le public québécois. La première version a été éditée en 1991. Une Québécoise a envoyé son exemplaire à une Belge, qui a elle-même voulu en acheter pour une amie. A ma grande surprise, mon livre a alors commencé à être diffusé en Europe par le bouche-à-oreille, si bien que 10 ans plus tard, la deuxième version a aussi été publiée par un éditeur français.

La troisième édition, totalement réécrite, est parue en 2013. Il était indispensable de remettre l’ouvrage à jour, non seulement en raison des progrès et de l’évolution des pratiques médicales (d’autant que certains passages de la deuxième édition dataient encore des années ’80), mais également en tenant compte du fait que les femmes ont par exemple aujourd’hui accès à internet. La version québécoise du livre s’appelle « Une naissance heureuse », tandis que mon éditeur français l’a intitulé « Vivre sa grossesse et son accouchement » avec « une naissance heureuse » en sous-titre. Seul le titre change, probablement pour mieux correspondre à la sensibilité française, mais le contenu est le même.

En quoi votre livre diffère-t-il des autres ouvrages grand public tels que « J’attends un enfant » de Laurence Pernoud ou « Attendre un enfant » de René Frydman ?

D’abord le ton. Le ton est encore plus important que le contenu. Page après page, mon ambition était d’écrire pour une lectrice intelligente, adulte, capable de faire des choix pour elle-même et son bébé. J’insiste sur la notion de choix. Dans mon livre, je développe ma vision, mon expérience et mes intuitions, mais il ne s’agit que d’un partage. Chaque femme a le droit de choisir d’accoucher autrement.

Ensuite, j’ai pris soin de décrire les gestes médicaux avec beaucoup d’exactitude et d’objectivité. Je fais état de la connaissance scientifique sur le déclenchement, sur la péridurale, etc. Chaque acte médical a ses avantages et ses inconvénients. Dans le parcours classique d’accouchement à l’hôpital, c’est le médecin qui pèse le pour et le contre et qui choisit in fine le geste à poser. J’estime que ce pouvoir de décision doit revenir à la femme. Il est donc nécessaire qu’elle soit bien informée sur la portée de ces actes médicaux.

Enfin, mon livre a une fonction émancipatrice. Je rencontre souvent des sages-femmes qui conseillent mon ouvrage aux futures mamans qu’elles suivent, et elles me disent savoir exactement quand elles l’ont lu parce que leurs questions sont alors totalement différentes. Elles accèdent pleinement à la liberté de choix.

Qu’est-ce qu’une « naissance heureuse » ?

Les enquêtes de satisfaction ont démontré que les deux critères essentiels pour que l’expérience de l’accouchement soit positive sont d’être accompagnée et de se sentir entendue. Ces deux critères priment sur le degré d’intervention médicale. Or, ce ne sont pas ces deux éléments que les hôpitaux prennent en premier lieu en considération.

Vient ensuite la liberté. Notre société démocratique estime normal que chaque personne ait ses propres convictions politiques, philosophiques ou religieuses. Les gens peuvent avoir des goûts différents et des choix de vie personnels. Mais paradoxalement, lorsqu’il s’agit d’accoucher, notre société impose la même méthode à toutes les femmes. L’obstétrique repose sur une logique très particulière parce qu’elle détermine quels actes doivent être posés en fonction d’une variation statistique infime du taux de risque. Si un geste augmente de moins de 0,1 % le taux de risque, il est exclu pour toutes les femmes. Si on appliquait cette logique à l’ensemble de la société, les motos seraient interdites et on empêcherait les gens de voyager. Or, les individus ne fondent pas leurs choix sur base de statistiques, mais en fonction de convictions, de goûts et de valeurs. Cette pluralité doit être respectée, y compris par rapport à la naissance.

Il est néanmoins important de ne pas tomber dans l’excès inverse où une femme aurait déterminé toutes les conditions dans lesquelles elle souhaite accoucher, et serait déçue si les choses ne se passaient pas exactement comme prévu. Il y a beaucoup d’incertitudes sur le déroulement d’un accouchement, et il faut rester ouverte à l’imprévu. Quand on part en bateau pendant un mois, on ne considérera pas que les vacances sont gâchées s’il y a deux jours d’orage.

Les femmes ont cette formidable capacité à mettre un enfant au monde. Elles devraient sortir triomphantes de cette expérience. Malheureusement, dans les conditions d’accouchement classiques, bon nombre d’entre elles en sortent meurtries. Elles sont heureuses d’avoir leur bébé en bonne santé, mais sont plus ou moins rescapées d’un processus dont elles n’étaient pas la toute première héroïne, alors que ce devrait être le cas.

Quelle est la situation de l’accouchement au Canada ?

Au Québec, les médecins de famille occupent encore une place dans la naissance. A Montréal, 80 % des accouchement sont assistés par un obstétricien et 20 % par un médecin de famille. Dans le reste du Québec, la proportion est inversée.

Depuis la fin des années ’90, les sages-femmes sont réapparues, dans une pratique qui correspond à ce qu’on appelle en Europe le suivi global de la naissance, que ce soit en vue d’un accouchement à domicile, en maison de naissance ou à l’hôpital. Au Québec, 3 à 4 % des naissances ont lieu avec une sage-femme. L’Ontario, qui a légalisé la pratique des sages-femmes dix ans plus tôt, en compte 13 à 14 %.

Les maisons de naissance existent depuis une vingtaine d’années. Il y en a douze au Québec. Plusieurs sont en projet, également en Ontario. C’est encore peu, mais nous sommes confrontés à un manque de sages-femmes. Leur formation étant basée en partie sur le compagnonnage, il n’est pas possible d’en diplômer un grand nombre par an. 

La situation est très différente de la France. D’abord nous avons de vraies maisons de naissance, distinctes des hôpitaux, contrairement à ce que prévoit la loi française qui relève du non-sens. Ensuite les sages-femmes canadiennes sont les gardiennes de la physiologie, contrairement à la pratique prédominante des sages-femmes françaises qui s’inscrivent dans la hiérarchie médicale, ce que je trouve dommage. Enfin, les relations entre les sages-femmes et les intervenants médicaux sont paisibles, les sages-femmes sont pleinement reconnues. Nous ne connaissons pas la chasse aux sorcières qui sévit en France autour de l’accouchement à domicile.

Justement, quelle est votre relation avec le pouvoir médical en général ? 

Je sais que certains médecins possèdent mon livre dans leur cabinet et le conseillent à leurs patientes. Personnellement, je ne cherche pas le conflit et je ne défends pas une idéologie. Un médecin qui exerce de façon juste et humaine, en accord avec les meilleures pratiques médicales, peut y trouver son compte, même s’il n’est pas d’accord avec l’ensemble du contenu.

Je constate aussi que des petits pas ont lieu dans tous les domaines de la naissance. Outre l’émergence de la profession de sage-femme et du suivi global, je note une humanisation de certains hôpitaux, une meilleure prise en compte des besoins des parturientes, un réaménagement des locaux avec installation de baignoires d’accouchement, etc. Beaucoup de médecins qui étaient au départ réticents par rapport aux maisons de naissances, sont aujourd’hui plus ouverts à constater des bons résultats qu’elles produisent. Bien sûr, il reste toujours quelques irréductibles, mais il suffit d’attendre patiemment qu’ils prennent leur retraite.

Il faut dénoncer l’inacceptable, mais aussi nourrir ce qui est beau. Lorsque des étudiants décident de devenir sage-femme ou obstétricien, ils sont mus par un idéal particulier, par quelque chose en lien avec la beauté de la naissance. Sinon ils auraient fait ORL ou autre chose. Puis ils sont confrontés à la rigidité de la formation et des protocoles, à la lassitude, à la peur, et ils prennent petit à petit une autre direction. Mais il est possible de les aider à retrouver cet idéal d’humanité. Comme le dit Leonard Cohen dans une de ses chansons « il y a une faille dans chaque chose et c’est par là qu’entre la lumière ».

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5 Responses to Isabelle BRABANT : « Je m’adresse à des femmes intelligentes, adultes, capables de faire des choix pour elles-mêmes et leur bébé »

  1. melmelie says:

    Elle m’a accompagnée sans le savoir pendant mes 3 accouchements… je lui dois tant !
    merci pour cet article 🙂

  2. Lyjazz says:

    Un très beau livre, que j’ai lu et relu pendant ma première grossesse, et jusqu’à la nuit où j’ai perdu les eaux j’ai relu le passage à ce sujet pour savoir quoi faire.
    Et je suis bien heureuse de savoir qu’il s’est diffusé de façon nomade au début, parce que j’ai fait pareil avec le mien : une voisine allait déménager et était enceinte, me posait des questions, je lui ai passé mon livre, et je ne l’ai plus jamais revu. J’espère juste qu’elle l’a prêté ou donné à quelqu’un d’autre qui en avait besoin.

  3. Marie-Hélène Lahaye says:

    Merci pour vos témoignages 🙂

  4. Mathilde Lord says:

    Bonjour Isabelle, je suis Anne-Marie Fréchette, nous avons vécu une belle expérience il y a 31 ans, tu te souviens?
    J’ai dans ma classe une jeune fille de 9 ans qui fait un petit projet sur les sages-femmes. Pourrait-elle te contacter pour te poser quelques questions?
    J’attends de tes nouvelles.
    Au plaisir!!!!!!!!!!!!!!!
    Anne-Marie

  5. rodeline gervais says:

    la meilleure sage femme, elle ma accompagné tout au long de ma premiere grossesse en 2009…j’étais très jeune a l’époque et grace a elle jai vecu une superbe grossesse et un accouchement de reve 🙂
    mes souvenirs sont tellement positif que lors de ma prochaine grossesse je vais sans aucuns doutes avoir recours a une sage femme ( isabelle brabant si possible) et accoucher dans une maison de naissance ou chez moi

    p.s. mon fils maintenant agé de 7ans est un amour de petit garcon j’aimerais tant quelle puisse constater a quelle point j’ai evoluer et a quelle point elle a marque nos vie

    merci a isabelle pour tous

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