Ce 5 juin, Le Monde ferme ses blogs. Mon blog Marie accouche là déménage vers sa nouvelle adresse : marieaccouchela.net sur laquelle vous vous trouvez en ce moment.
J’y ai transféré l’intégralité du blog, y compris tous les commentaires. Seuls les tous derniers commentaires postés sur l’ancienne adresse n’ont malheureusement pas pu être repris. J’en suis désolée.
Si vous êtes abonné.es à mon blog, vous continuerez à recevoir mes billets par email sans manipulation de votre part. En revanche, si vous avez mis sur votre site un lien vers un billet de mon blog , ou si vous utilisez le flux RSS, je vous invite à les modifier.
Au-delà des aspects techniques et à l’occasion de ce changement d’adresse, j’ai envie de faire un petit bilan de cette grande aventure qu’a constitué la tenue de mon blog au cours de ces années.
Je l’ai ouvert en septembre 2013. Un an après la naissance de mon fils.
J’ai eu la chance de vivre un accouchement respecté, un peu par un hasard de circonstances. Lorsque j’ai demandé à ma sage-femme quel cadeau lui ferait plaisir pour la remercier pour son accompagnement extraordinaire, elle m’a répondu : « ce qui me serait vraiment utile, c’est que tu témoignes ». Avec mon nouveau-né sur les bras et dans le tourbillon de vie qu’il entraînait, j’ai laissé patiemment cette idée mûrir.
En août 2013, je suis allée aux Rencontres Écologiques d’Été, l’université du parti Écolo en Belgique. Un atelier sur la naissance respectée y était organisé. J’y étais en dilettante, convaincue par le sujet pour l’avoir moi-même vécu. Cet atelier était co-animé Patrick Dupriez qui deviendra par la suite co-président du parti Écolo, convaincu lui aussi par l’importance de respecter cet événement fondamental de la vie. Lorsque je lui ai demandé si des propositions en ce sens étaient portées au sein du parti écologiste, il a soupiré « c’est impossible, à cause des féministes ». Ses maigres tentatives d’aborder ce sujet se voyait contrecarrer par des procès d’intentions en forme de « non au retour de l’accouchement dans la douleur », « tu veux culpabiliser les femmes » ou encore « la médecine sauve aujourd’hui les mères ». En tant que féministe, j’étais pour le moins surprise par ses propos, pressentant intuitivement qu’être respectée tant physiquement que psychiquement pendant la mise au monde de son enfant pouvait relever d’une revendication féministe.
De retour chez moi, je me suis plongée dans des recherches pour trouver ce que les féministes célèbres m’ayant accompagnée pendant toute ma vie d’adulte avaient écrit sur l’accouchement. J’ai été stupéfaite de constater qu’elles ne l’ont pas abordé. L’accouchement était l’impensé du féminisme.
Me souvenant de la promesse de témoigner que j’avais faite à ma sage-femme un an plus tôt, j’ai décidé d’ouvrir un blog qui aurait pour objectif d’analyser l’accouchement d’un point de vue politique et féministe. Comme j’avais un espace blog sur LeMonde.fr, c’est là que j’ai posté mes premiers billets.
J’ai cru que mon blog n’allait être qu’une petite niche, où j’allais tester quelques idées que je partagerais avec quelques proches, tant le sujet de l’accouchement analysé dans une perspective politique et féministe me semblait trop pointu et pas grand public. J’ai alors eu l’immense surprise de voir mes premiers billets partagés plusieurs milliers de fois sur les réseaux sociaux. Très vite, une avalanche de témoignages dont certains d’une violence inouïe, m’est parvenue et m’a encouragée à continuer à écrire. Ces témoignages ont été essentiels dans la compréhension des conditions d’accouchement et dans la mise en lumière des violences obstétricales. Je voudrais sincèrement remercier les très nombreuses femmes et les quelques hommes, qui ont pris la peine de poster leur vécu sur mon blog ou par email, ou de me le raconter lors d’une rencontre. Cette libération de parole a été fondamentale pour faire tomber ce tabou.
La médiatisation
La portée politique de mes billets est principalement incarnée par un style d’écriture tranché et provocateur, tout en étant appuyé par des références scientifiques solides. Chacun de mes billets est un pamphlet qui vise à faire prendre conscience les lecteurs et lectrices du scandale des conditions d’accouchement. J’ai par exemple très vite utilisé le terme de violence obstétricale pour sa portée évocatrice de la violence faite aux femmes, alors même que la plupart des militantes et associations actives autour de la naissance respectée le gardait, à ce moment-là, à distance, et m’ont même déconseillé de l’utiliser « pour ne pas se fâcher avec les soignants ». Mon objectif est au contraire de mettre le sujet en tension, sans concession, en me plaçant radicalement du côté des femmes, et de convaincre les journalistes et les politiques de sa pertinence.
Un an après le lancement de mon blog, trois buzz relayés par la presse, font émerger les questions de gynécologie obstétrique sur les réseaux sociaux.
Fin 2014, la sage-femme Agnès Ledig écrit un texte dénonçant le point du mari publié par Isabelle Alonso. Sont visées la pratique de l’épisiotomie et la façon cavalière dont elle est recousue, dans certains cas avec la volonté du médecin de resserrer le vagin de la femme pour le plaisir sexuel de son mari.
Quelques semaines plus tard, une étudiante en pharmacie lâche sur twitter le hashtag #PayeTonUtérus incitant à témoigner sur les galères médicales. En quelques jours, 7000 femmes témoignent en 140 caractères, pour dénoncer de façon cash (et trash) des maltraitances subies dans le cadre gynécologique ou obstétrical. C’est le #metoo et le #balancetonporc avant l’heure.
En février 2015, des carnets de stage sont découverts sur le site web de la faculté de médecine de Lyon II, dans lesquels il est mis en toutes lettres que les futurs médecins doivent effectuer des touchers vaginaux sur patientes endormies au bloc opératoire. Clara de Bort, Béatrice Kammerer et moi-même nous emparons de l’affaire en rédigeant une tribune « Le consentement, point aveugle de la formation des médecins » cosignée par 50 personnalités, publiée sur Mediapart et accompagnée d’un communiqué de presse largement diffusé. Cette tribune sera reprise par les médias et fera bouger la précédente Ministre de la Santé, Marisol Touraine.
En septembre 2015, la journaliste Mélanie Déchalotte réalise pour France Culture le premier documentaire radio « Maltraitance gynécologique » dans lequel j’interviens. Cette émission est podcastée à de nombreuses reprises au point où le site de France Culture rencontre des problèmes la nuit de sa diffusion, et attire des dizaines de témoignages d’auditrices.
Toute l’année qui suit sera rythmée par des articles de presse dénonçant certains aspects des conditions d’accouchement, et relayant encore des témoignages. Jusqu’en avril 2017 où le Figaro met en ligne un web documentaire Quand l’accouchement se vit dans la violence qui contient une enquête poussée sur le sujet.
Pendant la campagne présidentielle de 2017, la Fondation des Femmes organise à Paris une soirée débat pour interroger les candidats sur les questions féministes. J’y suis invitée pour aborder les violences obstétricales qui entrent pour la première fois dans une campagne électorale. J’échange avec Marlène Schiappa, représentante d’Emmanuel Macron, qui est la seule politique présente à comprendre le sujet.
Le 17 juillet 2017, je suis pour la première fois invitée en direct à un débat à la radio, sur France Inter, dans les débats de midi de Dorothée Barba. C’est à ce débat qu’Israël Nisand, président du Collège nationale des gynécologues et obstétricien français, refuse de participer en apprenant ma présence.
Trois jours plus tard, la Secrétaire d’Etat Marlène Schiappa annonce devant la délégation aux droits des femmes du Sénat, avoir commandité un rapport sur les violences obstétricales au Haut Conseil à l’Égalité. C’est le coup d’envoi d’un été historique où les violences obstétricales se sont imposées dans tous les médias.
En octobre 2017, la journaliste Mélanie Déchalotte publie le Livre Noir de la Gynécologie qui relaye de nombreux témoignages de femmes et s’appuie notamment sur un long entretien que je lui ai accordé.
En janvier 2018, c’est à mon tour de publier mon premier livre Accouchement : les femmes méritent mieux (chez Michalon), qui bénéficie également de bons relai auprès des médias.
Le 29 juin 2018, le Haut Conseil à l’Egalité publie son rapport sur les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical. Cette instance reconnaît l’ampleur et la forte prévalence des actes sexistes en gynécologie obstétrique, et émet 26 recommandations pour y mettre fin.
Après la France, les autres pays francophones
Si la France a fait figure de pionnière dans le monde francophone dans la médiatisation et la prise en compte politique des violences obstétricales, les autres pays francophones embrayent.
En Belgique, le principal hebdomadaire Le Vif consacre son dossier du 6 juin 2018 aux violences obstétricales, et place en couverture un gynécologue-boucher avec le titre « Docteur, les femmes c’est pas du bétail » qui met la profession en émoi. La presse suit, et RTL aborde ce thème dans un de ses débats dominicaux à forte audience.
En Suisse, la question de l’accouchement émerge fin décembre 2018. Entre les fêtes de fin d’année, une journaliste de la RTS m’interroge longuement sur ce sujet. Depuis, des témoignages de femmes suisses alimentent des articles de presse.
Depuis quelques semaines, c’est au tour du Québec de s’emparer du sujet, notamment grâce au Groupement Naissance-Renaissance qui vient de lancer un appel à témoignages.
Quant à moi, je sors d’une campagne électorale en Belgique, où j’étais candidate Ecolo pour le Parlement bruxellois lors des méga élections du pays couplées avec les Européennes. C’est à l’université d’été du parti écologiste en 2013 que j’ai eu l’idée d’ouvrir un blog sur les questions d’accouchement. Six ans plus tard, le thème de la bientraitance obstétricale figure dans le programme de ce parti, et fera, je l’espère, partie des accords de majorité des prochains gouvernements.
Lorsque je regarde en arrière, c’est avec une certaine émotion que je constate le chemin parcouru. Clairement, en six ans, la société a bougé sur le sujet de l’accouchement.
Merci, merci pour votre blog, que j’ai trouvé lors de ma 2ème grossesse et m’a permis de comprendre que ce que j’avais vécu lors de mon premier accouchement n’était pas normal. Merci d’avoir jeté un pavé dans la mare. Merci pour vos témoignages, vos interventions.
Mon deuxième accouchement à été bien mieux 😊 J’ai préparé mon accouchement en lisant votre blog et les liens et livres cités.
Bonne continuation !
Bravo Marie-Hélène, pour votre plume directe et votre courage sans faille! Même si je ne suis que modérément concernée, ayant un gynécologue extrêmement doux et respectueux (mes seuls soucis ont eu lieu en hôpital) et la chance d’avoir pu choisir les modalités qui me convenaient pour mes 4 accouchements, je me réjouis de cette avancée majeure pour la société. Pour ma fille, pour mes fils et leurs éventuelles futures femmes, pour mes futures petites-filles, pour toutes les femmes qui passeront par un service de gynécologie, pour tous les hommes souvent impuissants et désolés, MERCI.
« En 6 ans la société a bougé sur le sujet de l’accouchement » … en grande partie grâce à toi, Marie Hélène !
Merci pour ce blog. Merci pour ton engagement.
Bonjour Marie Hélène,
Je découvre votre blog qui à ma grande surprise met des mots sur ce que j’ai vécu lors de mes 2 accouchements :
– Pour le 1er, l’obstetricien à pratiqué 1 episio où le sang a giclé sur son visage… Cela m’a choqué. Et puis la cicatrisation… Cet acte je l’ai vécu comme une “castration” et j’ai mis 2ans avant de m’en remettre sans avoir de rapport.
-Pour le 2ème, étant enceinte de jumeaux dont 1 en siège + pré éclampsie, je refusais d’accoucher par voie basse et ai demandé dès le début une césarienne. On me l’a refusé 2 semaines avant l’accouchement sous prétexte que ce n’était pas à moi de choisir. Or j’étais tellement terrifiée… Mais devant mon instance, un interne à bien voulu lever la main pour défendre mon opinion car pour lui il fallait prendre en compte le choix de la maman, et c’est ainsi que j’ai pu bénéficié de cette opération.
Depuis je garde pour ces 2 accouchements de terrible souvenirs alors que cela aurait dû être des moments heureux.
Bravo pour tout votre travail et pour son succès, Marie-Hélène !
J’espère qu’il sera la catalyseur des changements profonds dans le domaine de la naissance, dans ce pays si réfractaire à la liberté et à l’autonomie des femmes quand elles donnent la vie…
Grâce à vous et à d’autres (Martin Winckler, Mélanie Déchalotte, Clara de Bort, Ovidie…) les françaises seront peut-être enfin traitées comme des citoyennes adultes quand elles mettent au monde leurs enfants, sur le modèle nord-européen, et non plus comme des mineures sous tutelle médicale… Espérons.
A quand un billet (bien informé et pensé) sur la naissance orgasmique : -> Orgasmic Birth, Elizabeth Davis (entre autres)
Bonjour, très heureux comme papa de 3 enfants nés à la maison de vous lire, grâce à votre citation par France info.
Ce sujet me tient à cœur, ce qui m’a valu de nombreuses rencontres avec des femmes dont l’accouchement avait été subi, parfois comme un viol.
Je reste scandalisé que, dans mon pays de France, la liberté d’accoucher tranquillement à la maison (ce qui se prépare bien sûr et requiert précautions et accompagnement compétent) soit empêchée par tous les moyens dont l’impossibilité pour les praticiens et praticiennes de santé de trouver une assurance professionnelle à coût raisonnable. Pourtant, la responsabilisation parentale que nécessite cette pratique, la préparation partagée qu’elle occasionne, la place que conserve la vie familiale et le faible coût au regard de l’hospitalisation plaident en faveur de cette liberté qui fait de cet événement de vie autre chose qu’une maladie traitée par un tiers, pas toujours bienveillant et a minima très contraint par la structure médicalisée souvent de type industrielle.
Bonjour Marie-Hélène. Je vous écris pour vous informer de la sortie de mon dernier roman “MÈRE NATURE”, une fiction documentée qui raconte à travers l’histoire d’une femme en particulier le libre-arbitre restreint de celles qui souhaiteraient accoucher plus naturellement que la majorité des parcours hospitaliers imposés (Éditions Plon)
Alice Moine
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