La femme qui accouche, cette pécheresse qu’il faut punir

Un personnage classique dans de nombreux récits d’accouchement est celui de la sage-femme méchante, du  gynécologue méprisant ou de l’anesthésiste caractériel. Il est plutôt difficile pour une femme d’accoucher à l’hôpital en ne croisant que du personnel d’une politesse absolue, d’un tact irréprochable et d’une bienveillance indéfectible. Plus étonnant encore, ces comportements malveillants sont socialement acceptés puisque peu de gens s’en indignent. Des jeunes mères vont même jusqu’à s’excuser d’avoir été insultées et humiliées en précisant qu’ « à l’exception de cette sage-femme vraiment désagréable, tout le monde était gentil avec moi ». Comme s’il était normal de subir mépris et affronts le jour de la naissance de son enfant. Comme s’il était admis de s’entendre, dans une maternité, tenir des propos ignobles qui seraient inacceptables s’ils étaient proférés par un employé de poste, un boulanger voire un patron.

L’accouchement est un moment exceptionnel dans la vie d’une femme, tant par les sensations extrêmes qu’il produit, que par sa charge émotionnelle et symbolique. Peu d’événements au cours de l’existence ne sont porteurs de significations si profondes ou ne constituent un tel bouleversement au tréfonds de son humanité. Pourquoi, dès lors, notre société admet-elle que ces instants extraordinaires soient gâchés par des personnes qui, dans la routine de leur profession, s’autorisent à injurier les personnes qui les vivent ?

A titre de comparaison, le mariage est pour certains un événement unique qu’il y a lieu de célébrer avec faste et magnificence. Les invités et le personnel engagé pour l’occasion sont priés de se surpasser afin que cette journée puisse combler de bonheur les futurs époux et rester gravée dans leur mémoire à sa juste dimension. Il serait donc inconcevable qu’un serveur insulte la mariée à chacun de ses passages, lui ordonne de se taire dès qu’elle pousse des cris de joie, et lui profère des menaces pour qu’elle reste sagement assise au lieu s’élancer sur la piste de danse. Il serait incongru que la jeune mariée raconte ensuite le déroulement de ses noces en concluant simplement « mais hormis ce serveur, toutes les autres personnes étaient gentilles ». Il serait encore plus surréaliste qu’à la suite d’un tel récit, son interlocuteur se borne à lui répondre « tu es en bonne santé et ton mari est adorable, c’est le principal ».

« Les mauvaises conditions de travail dans les hôpitaux ! », s’écrient en cœur les syndicats et défenseurs des ordres professionnels réunis pour justifier ces traitements humiliants. Certes, les rythmes de travail sont très soutenus dans ces structures et la pression sur le personnel est digne d’un engin de terrassement. Les praticiens devrait toutefois être informés que les parturientes ne sont en aucun cas responsables de l’organisation de leur service et qu’il est donc malvenu de leur faire payer les conséquences de mauvais choix de gestion. De plus, ces mauvaises conditions de travail n’expliquent pas pourquoi certains membres du personnel hospitalier sont, malgré tout, respectueux, voire n’hésitent pas à critiquer la violence de leurs collègues. Enfin, il existe d’autres professions stressantes, comme celles des traders, des artistes montant sur scène ou des pilotes d’avion, où les insultes, méchancetés et humiliations envers le public ou les clients ne sont pas admises.

La banalité de la violence verbale à l’égard des parturientes trouve plutôt son origine dans l’injonction biblique « tu enfanteras dans la douleur », la souffrance étant la punition divine du pécher de chair commis neuf mois plus tôt. Comme Dieu, un peu trop sollicité de toute part, a une fâcheuse tendance à la distraction, les matrones, infirmières et médecins se sont empressés de lui porter main forte en assurant qu’une peine adéquate soit bel et bien infligée à la pécheresse. C’est ainsi que par le passé, lorsqu’une femme prise dans un paroxysme de sensations quémandait un soutien émotionnel au soignant, elle se voyait répondre un méprisant « vous ne m’appeliez pas quand vous le faisiez, cet enfant ».

Invoquer ouvertement le pécher de luxure étant quelque peu démodé dans notre société de l’après-révolution sexuelle, les praticiens actuels ont donc trouvé d’autres raisons pour punir les femmes qui accouchent. Par exemple parce qu’elles sont trop jeunes. Ou trop pauvres. Ou trop grosses. Le corps médical ne voit aucun inconvénient à se muer en un juge moral qui détermine le profil idéal de mère, puis en un bourreau sanctionnant les femmes qui ne se conforment pas à cet archétype.

Plus intéressant encore, lorsque sont mises bout à bout toutes les raisons qui déclenchent la mauvaise humeur des professionnels, apparaît le tableau le plus rétrograde et misogyne de la femme. Premièrement, il faut qu’elle soit totalement soumise et qu’elle suive à la lettre, sans le moindre écart de conduite, toutes les injonctions qui lui sont faites. Ainsi, parmi les raisons de réprimande, figurent en bonne place l’impertinence de ne pas avoir suivi les séances de préparation à la naissance, l’effronterie consistant à refuser certains actes médicaux, l’extravagance de se passer de péridurale, ou l’insolence de ne pas « pousser » selon les ordres aussi bêtes et absurdes que ceux hurlés lors du service militaire. La femme parfaite doit en outre être idiote, inculte et niaise. Haro sur celles qui se sont instruites en dehors de la littérature autorisée, et qui ont même, comble de l’ignominie, élaboré des idées sur la façon d’accoucher. Coupables sont ces originales qui avouent avoir songé à l’accouchement à domicile, qui viennent à l’hôpital avec leur propre sage-femme ou qui désirent une naissance par voie vaginale après un premier enfant né par césarienne. La femme idéale a pour caractéristique ultime d’être réservée, discrète et silencieuse. On ne peut donc que remercier les gynécologues qui veillent à ces attributs féminins en n’hésitant pas à menacer les parturientes remuantes, et même gifler celles qui sont trop bruyantes.

Si dans l’imaginaire collectif la naissance est un « heureux événement », les conditions d’accouchement dans la plupart des hôpitaux ne sont pas à la hauteur de cette expérience. Peu de choses permettraient pourtant de placer ce moment si précieux dans la vie d’une femme à un niveau de respect au moins équivalent à celui d’un mariage. Certes, les professionnels de la naissance pourraient se voir dispenser, au cours de leur longue formation, un cours sur les bases élémentaires de la politesse et du savoir-vivre. Mais plus que tout, il leur suffirait de s’en tenir strictement à leur métier. Ils devraient se limiter à accompagner les naissances en n’intervenant qu’en cas de pathologie, de risques avérés ou de demandes particulières de la femme. Étant déjà sous pression en raison de l’organisation des services, il n’est pas judicieux qu’ils consacrent, en plus, une partie de leur temps à servir de bras armé d’un Dieu culpabilisateur, ou d’assumer une fonction de gardien des bonnes manières inculquées aux jeunes filles à une époque révolue.

Sources :
Laurence Cuvelier, « Les chemins de la souffrance, une juste punition ? », Cahiers Sc 39, Spiritualité et Santé, janvier 2007.
Yves Feroul, « ‘Le point du mari’, ou comment les médecins maltraitent encore le corps des femmes », Le Nouvel Observateur, avril 2014.
Mr Pourquoi, « Quand la médecine fait mal », 2012.
« Panique à la maternité », Spirale 2/ 2005 (no 34), p. 208-212.
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7 Responses to La femme qui accouche, cette pécheresse qu’il faut punir

  1. nlitb says:

    Encore une analogie limpide, vous avez le don de présenter des évidences auxquelles pourtant on n’aurait jamais pensé ! Merci.

  2. isabelle says:

    C’ est réconfortant de voir que certains acteurs de terrain s’en rendent compte, écrivent à ce sujet et essayent de se faire entendre (tant par leurs pairs que par les patients, d’ailleurs). Cette violence fait suite, je crois, à la violence que subissent les femmes autour de leur sexualité. La sexualité féminine a toujours fait peur, partout dans le monde- même chez nous où pourtant elle semble s’est libérée. Mais la puissance vitale qui s’en dégage dérange et fait inquiète la société patriarcale alors il ne faudrait surtout pas laisser cette puissance s’exprimer AUSSI pendant un accouchement, censé être douloureux…

    • Marie-Hélène Lahaye says:

      Tout à fait.
      Notre société qualifie les sensations très fortes de l’accouchement de “douleur”. Ce que j’ai ressenti était bien plus de la puissance que de la douleur. Mais l’idée que les femmes (douces, fragiles, faibles, etc) puissent développer une telle puissance est inconcevable dans une société patriarcale. Alors on les réduit par tous les moyens, y compris par les injures et les contraintes physiques, à l’immobilité et l’impuissance. Puis on fait croire aux femmes que grâce à la péridurale, elles ne sentiront rien et seront libérées des inconvénients de leur corps.
      (je précise que je ne suis pas contre la péridurale, mais je l’interroge ce comme tout ce qui concerne l’accouchement)

  3. Jo says:

    Permettez-moi de m’ inscrire en faux sur le fragment : “la souffrance étant la punition divine du péché de chair commis neuf mois plus tôt.”
    Peut-être que c’est ce que pense le personnel médical, mais ce n’est pas exactement le message biblique. En effet il est dit plus tôt “Croissez et multipliez-vous.” La génération humaine ne peut être présentée comme une action vertueuse dans un chapitre et comme un péché dans le suivant.
    Autre est le cas d’une conception hors mariage mais, lorsque le père se débine, ce n’est pas seulement pendant l’accouchement mais pendant le reste de la vie que la mère et tout autant l’enfant en portent le poids.
    Le péché auquel s’adresse la sanction de la douleur (et celle symétrique du labeur à la sueur de son front) et d’avoir voulu devenir les égaux de Dieu, malgré l’unique commandement donné au commencement.

    Cela dit, même l’Église catholique a rejeté en 1956 un compréhension trop littérale de cette douleur et accepté le principe de l’accouchement sans douleur: http://www.vatican.va/holy_father/pius_xii/speeches/1956/documents/hf_p-xii_spe_19560108_parto-indolore_fr.html.

  4. dophinel says:

    J’abonde dans le sens de Jo pour ce qui est de l’accouchement dans la douleur. Et j’y ajouterais une nuance.
    Je pense qu’avant de désobéir à Dieu, Adam et Eve étaient parfaits, le corps parfait d’une femme me semble tout à fait apte à accoucher sans douleur.
    Si aujourd’hui nous souffrons c’est en raison de notre imperfection, notre incapacité à nous détendre, nous faire confiance et bien sûr à cause du stress autour de l’accouchement causé par le fonctionnement de l’hopital et les habitudes culturelles qui entourent l’accouchement.

  5. Carolette says:

    Aaah je suis contente de voir qu’un lecteur a déjà pensé à rectifier la seule fausse note de cet article : « la souffrance étant la punition divine du péché de chair commis neuf mois plus tôt. »

    Ne disons pas n’importe quoi, la bible dit que “le fruit des entrailles” est une “récompense”, que les bébés sont des “bénédictions”, et il est dit de l’union sexuelle que le couple ne doit pas s’en priver ! “Enivre-toi des seins de ta femme” qu’il est écrit dans la Bible.

    La souffrance a été un châtiment infligé à l’homme d’abord (concernant son labeur quotidien) puis à la femme ensuite (concernant ses grossesses) après qu’ils aient enfreint un ordre important de Dieu. Rien avoir avec la fait de faire l’amour, puisque quelques lignes plus tôt Dieu encourageait ce couple à faire plein de bébés (et donc à niquer gaiement) !

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